Dictionnaire 6 Degrés

Dictionnaire 6 Degrés

Initialement paru dans The Globe and Mail, accompagné d’essais de John Ralston Saul, de la très honorable Adrienne Clarkson et de Charlie Foran et Scott Young.

D’où viennent les idées nouvelles? Souvent, elles proviennent de mots familiers et du renouvellement des idées qui les sous-tendent. Pourquoi la pensée médiocre persiste-t-elle? Parce que ces mots et ces idées demeurent incontestés. Il s’agit d’un champ de bataille par procuration.

Dans le cadre de 6 Degrés Toronto 2018, l’Institut pour la citoyenneté canadienne a lancé un nouveau projet pour aider à changer tant les mentalités que les politiques, en redéfinissant des termes essentiels en ces temps incertains.

Nous avons tenté de redéfinir 12 mots à l’origine de beaucoup de désaccords et de malentendus, en les réinventant et en les transformant de manière à provoquer et inspirer.

La première itération du dictionnaire a été soumise à l’attention de centaines de participant·e·s pour alimenter la conversation, et son contenu a été enrichi par toutes les discussions. Nous avons l’intention de continuer d’alimenter le dictionnaire et de mettre au point un meilleur vocabulaire que nous pouvons tous et toutes partager.

Aussi disponible en français.

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Immigrant·e /imigʀɑ̃ /imigʀɑ̃ t/ nom. [1787; immigré n. 1769; latin immigrare.]

  1. Quelqu’un qui quitte un pays pour devenir citoyen·ne d’un autre pays.
  2. Un terme noble qui décrit celui ou celle qui a le courage et la ferme volonté de souhaiter, en pleine conscience, changer sa vie en changeant de pays.
  3. Une personne dont les qualités enrichissent sa nouvelle société en intervenant dans ses structures publiques, sa culture, sa politique et son économie.
  4. En moyenne, une personne qui est plus à l’aise face au risque que celles qui sont nées dans le pays.
  5. Quelqu’un qui est plus extrêmement fidèle à son nouveau pays et à ses principes de justice que ceux ou celles qui y sont né·e·s.
  6. L’immigrant·e est comme fiancé·e, un·e citoyen·ne est comme marié·e.

(Voir appartenance, citoyen·ne; migrant·e; multiculturalisme)

Migrant·e /migʀɑ̃ /migʀɑ̃ t/ nom. [1878; rare avant 1951; avec influence de émigrant·e, immigrant·e et anglais migrant 1672.]

  1. Un oiseau, un animal ou un papillon qui suit un modèle régulier et répétitif de déplacement.
  2. Dans la réalité, le travailleur ou la travailleuse industriel·le ou agricole sous-payé·e dont on s’attend à ce qu’il ou elle rentre dans son pays, une fois la saison terminée.
  3. Dans le langage courant, une étiquette collée en vue d’exclure, de marginaliser, de traiter avec condescendance et de déshumaniser.
  4. Comme dans : « quand vous aurez fini de ramasser mes fraises, rentrez chez vous ».
  5. Un terme qu’on ne s’attribue jamais à soi-même, qu’on impose toujours à d’autres.
  6. À ne pas confondre avec les expatrié·e·s ni avec les personnes qui fuient l’hiver, les snowbirds.
  7. Terme utilisé pour justifier qu’on retienne pour une génération ou plus les droits de citoyenneté d’immigrant·e·s.
  8. En Europe, c’est le croque-mitaine, le grand méchant loup.

(Voir immigrant·e; intégration; réfugié·e)

Citoyen·ne /sitwajɛ̃/sitwajɛn/ nom. [XVIe concitoyen; Famille étymologique cité; du latin civitas « ensemble des citoyens qui constituent une ville », puis « la ville elle-même ».]

  1. Athènes! La Révolution française!
  2. Source et garantie de légitimité de tout État-nation, qu’il soit démocratique ou non.
  3. Fait constamment l’objet d’attaques et de refus de la part de ceux ou celles qui détiennent le pouvoir public ou privé.
  4. À ne pas confondre avec le contribuable.
  5. Le contraire du stakeholderterme mussolinien qui ramène l’individu à son appartenance à un groupe d’intérêt.
  6. Le bénévolat est une représentation de l’engagement d’un·e citoyen·ne, ce n’est pas un secteur.
  7. Le citoyen ou la citoyenne ne saurait être un·e client·e des services gouvernementaux. Les citoyen·ne·s sont les propriétaires de l’État.

(Voir agentivitécommunauté; démocratie)

Réfugié·e /ʀefyʒje/ nom. [de refuayge, d’après le latin refugium.]

  1. Celui ou celle qui fuit son foyer pour sauver sa vie.
  2. Non pas celui ou celle qui est simplement persécuté·e par d’autres, comme l’affirment les définitions juridiques.
  3. Victime d’une multitude de facteurs, de la guerre jusqu’aux préjugés, de la sécheresse jusqu’à d’autres catastrophes économiques.
  4. Comme dans « victime d’une calamité », qu’elle soit humaine ou naturelle; ça pourrait être vous-même.
  5. Ou bien un·e ennemi·e clairement identifié·e de l’État, par exemple quelqu’un qui élève la voix; ça pourrait être vous-même.
  6. Dans les deux cas, c’est une tentative de la part de ceux et celles qui détiennent le pouvoir de déshumaniser ceux et celles qui n’en ont pas; ça pourrait être vous-même.
  7. Cela demande du courage.
  8. Mieux connu·e que le demandeur ou la demandeuse d’asile. Alors que « réfugié·e » peut faire résonner en chacun·e la crainte de souffrir, un·e « demandeur·euse d’asile » est un·e réfugié·e qui cherche à emménager à côté de chez vous.
  9. Personne qui fuit la désespérance, traverse à pied le Sahara, fait l’objet d’abus, est violée, battue, réduite à l’esclavage et risque finalement sa vie sur un bateau pour finir accusée par les Européens d’être un·e migrant·e économique. Une forme de persécution.
  10. Vous ne souhaitez pas en être un·e.

(Voir immigrant·e; intégration; migrant·e)

Intégration /ɛ̃tegʀasjɔ̃/ nom. [1700; « rétablissement » 1309; latin integratio.]

  1. Probablement mieux que le terme «  assimilation », mais quand même loin derrière « inclusion ».
  2. Malheureusement admise comme étant un processus bienveillant grâce auquel une personne est incorporée à une société.
  3. Une étape dont on a cru qu’elle était la seule nécessaire pour que les groupes dominants puissent composer avec autrui.
  4. Laisse entendre qu’il existerait une liste d’ajustements auxquels les nouveaux·elles arrivant·e·s devraient se plier pour devenir acceptables.
  5. Correspond à une vision des sociétés comme étant statiques et fragiles et qui vont se dissoudre si elles sont confrontées à la différence.
  6. Provoque la peur sous le couvert de la stabilité.
  7. Décourage la curiosité naturelle de l’être humain.
  8. Nie l’heureuse complexité humaine.
  9. Terme tout à fait mal pensé.

(Voir inclusion; migrant·e)

Inclusion /ɛ̃klyzjɔ̃/ nom. [1655; « action de déclarer inclus »; 1580; latin inclusio.]

  1. L’acte d’inclure, soit l’état d’être inclus·e.
  2. En fait, c’est le processus qui vise à créer un véritable espace pour développer un sentiment d’appartenance, qui que vous soyez et quel que soit le temps depuis lequel vous êtes sur place.
  3. Une fois mise en place, il est préférable de la laisser croitre par elle-même et prendre sa propre forme.
  4. Au point mort si on la réduit à une politique gouvernementale.
  5. Rendue compliquée si elle crée des attentes réalistes dans un calendrier qui ne l’est pas.
  6. Essentielle pour pouvoir juger de l’équité et de la santé spirituelle d’une société.
  7. Finalement, il s’agit d’apprendre à vivre ensemble.

(Voir appartenance; communauté; intégration)

Appartenance /apaʀtənɑ̃s/ nom. [Fin XIIe de appartenir; latin adpertinere « être attenant », de ad et pertinere « se rattacher à »; Famille étymologique tenir.]

  1. Résultat du fait de se joindre; c’est une nécessité humaine fondamentale que de faire partie de quelque chose de plus grand.
  2. Alors qu’on la jugeait nécessaire à la survie, elle est désormais devenue un signe de bien-être psychologique.
  3. Le partage, la coopération et des relations équilibrées avec les autres lui offrent un terreau fertile.
  4. Un élément nécessaire à la résilience sociale, culturelle, politique et économique.
  5. J’appartiens, donc je suis.

(Voir communauté; migrant·e; réfugié·e)

Multiculturalisme /myltikyltyʀalism/ nom. [1971; culture 1907; milieu XXe anglais cultural.]

  1. Souvent mal expliqué, c’est un concept subtil aux racines autochtones qui met en équilibre la différence et l’appartenance.
  2. Une politique qui vise à expliquer comment des personnes de cultures distinctes et de milieux et d’histoire personnelle différents s’adaptent et apprennent à vivre ensemble.
  3. Une invention canadienne qui soutient, au moins en théorie, un concept de droits égaux, de reconnaissance et de possibilités pour tous les individus, quelles que soient leurs racines.
  4. L’exemple d’une politique qui a pu se transformer en force, même si elle a été élaborée dans la confusion et dans un optimisme béat.
  5. Concept qui, pour le dire de manière polie, est mal compris par les Européen·ne·s et les Américain·e·s, mais aussi par un certain nombre de Canadien·ne·s.
  6. Sur le papier, l’opposé de l’interculturalisme, même si dans les faits, c’est vécu de la même manière.
  7. Une étape importante vers le pluralisme et l’inclusion.
  8. … et ça marche!

(Voir citoyen·ne; communauté; démocratie; inclusion)

Pouvoir /puvwaʀ/ nom. [Milieu IXe du latin populaire potere, refait sur posse, d’après les formes conjuguées comme potest « il peut ».]

  1. Possession du contrôle, de l’autorité et de l’influence sur autrui.
  2. Un phénomène indiscutable, présent dans toute interaction humaine.
  3. Peut se retrouver entre de bonnes mains, mais aussi entre de mauvaises mains.
  4. Historiquement, on le retrouve au sein des États, des gouvernements, des forces armées et des religions.
  5. Au cours des cinquante dernières années, il a souvent été transféré du secteur public vers des intérêts privés, sans que l’on mette en place de mécanisme de contrôle citoyen.
  6. Il est maintenant remis en question par de nouveaux·elles intervenant·e·s de la société civile, qui veulent exercer leur propre pouvoir afin d’atteindre les buts qu’ils et elles visent, sans passer par ces institutions.
  7. Quoi qu’il en soit, il est principalement entre les mains d’hommes, de race blanche.

(Voir agentivité; démocratie)

Agentivité (agency) /aʒɑ̃tivite/ nom. [Latin scolastique agens, subst. du p. prés. de agere « agir, faire ».]

  1. L’incarnation de l’action. Expression récente qui correspond à une aspiration élevée des jeunes Occidentaux, surtout anglophones, au début du XXIe siècle.
  2. Une croyance morale selon laquelle il faut corriger la mauvaise répartition du pouvoir.
  3. La détermination à faire entendre les voix qu’on a fait taire.
  4. Une habileté diversement limitée ou amplifiée par des facteurs structuraux, dont la classe sociale, l’âge, le genre, la religion, l’éducation et l’origine ethnique.
  5. Croule souvent sous des attentes élevées.
  6. Fréquemment mise à l’œuvre par des personnes frustrées et poussées à la colère par l’orthodoxie politique.
  7. Elle tend à sous-estimer le pouvoir détenu par les législatures, les institutions mondiales, les entreprises et leurs bureaucraties.
  8. Elle est revendiquée, elle n’est pas donnée.

(Voir démocratie; pouvoir)

Communauté /kɔmynote/ nom. [1283; de commun; latin communis « qui appartient à tous, à plusieurs » et « ordinaire ».]

  1. Un groupe d’individus qui partagent des caractéristiques communes.
  2. Un corps auto-proclamé dont les affiliations religieuses, politiques, professionnelles, sociales et même nationales sont collectives.
  3. Une manière de posséder un sentiment d’appartenance.
  4. L’expérience d’assumer son autonomie, de se sentir légitimé·e, de partager la solidarité et la sécurité.
  5. Quand elle échoue, c’est une force qui disperse et fait exploser, le plus souvent involontairement.
  6. Une expression tellement galvaudée qu’elle a provoqué le scepticisme quant à ses intentions.

(Voir appartenance; citoyen·ne)

Démocratie /demɔkʀasi/ nom. [1370 en parlant de l’Antiquité; repris en 1791; grec dêmokratia, de dêmos « peuple ».]

  1. En difficulté en 2018.
  2. L’expression du citoyen ou de la citoyenne comme source de la légitimité de l’État.
  3. Une idée qui s’est élargie jusqu’à accueillir tous les adultes, y compris les femmes, les gens de couleur et les peuples autochtones.
  4. Un système qu’on disait naïvement être l’aboutissement de l’évolution politique de l’humanité.
  5. Pas aussi exclusivement occidentale que le prétendent bien des gens, et avec des racines qui ne sont pas forcément grecques.
  6. Selon certains, elle a été saisie par des intérêts privés au cours des cinquante dernières années.
  7. Pour d’autres, comme le disait Churchill : le moins mauvais de tous les systèmes.
  8. Une forme de gouvernement construit autour d’institutions crédibles, mais qui dépendent de citoyen·ne·s engagé·e·s. L’un ne va pas sans l’autre.

(Voir agentivité; citoyen·ne; pouvoir)

Ce projet est financé en partie par le gouvernement du Canada.