Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis que Vincent Lam est devenu médecin, il a connu deux grandes épidémies virales : d’abord le SRAS, qui a frappé Toronto en 2003 ; et maintenant la pandémie COVID-19, qui a laissé la ville dans un état de fermeture totale depuis la mi-mars.

Lam est le co-auteur du livre The Flu Pandemic and You, et le directeur médical de la Coderix Medical Clinic, un centre de soins pour toxicomanes à Toronto. Il est également un auteur de fiction accompli – son livre Bloodletting and Miraculous Cures a remporté le prix Scotiabank Giller 2006.

Nous avons discuté avec lui de ce que c’est que de travailler en première ligne, de la manière de gérer la peur et l’anxiété qui entourent les pandémies, et des façons subtiles dont le racisme fonctionne et prospère en temps de crise.

Sejla Rizvic : Je voulais vous parler de votre expérience antérieure en tant que médecin des urgences pendant l’épidémie de SRAS et maintenant en tant que directeur médical pendant la pandémie COVID-19. Comment ces deux expériences se comparent-elles?
Vincent Lam: C’est intéressant parce qu’en fait, en tant que médecin, ce n’est pas si différent. Beaucoup de choses que nous faisions comme mesures de précaution sont en fait les mêmes que celles que nous faisons maintenant. Donc, en termes de dépistage, en termes d’utilisation d’équipements de protection individuelle, c’est exactement la même chose. Je pense que la plus grande différence est simplement que la situation de COVID-19 a eu plus d’impact. Il y a eu davantage de cas dans le système de soins de santé lui-même, et dans la communauté en général, les choses ont été sérieusement affectées.

Pendant le SRAS, je me souviens d’avoir eu l’impression que nous étions dans un monde un peu parallèle, en ce sens qu’en matière de soins de santé, nous prenions soin de personnes potentiellement malades et nous prenions toutes ces précautions et tout était vraiment différent. Mais dans la ville elle-même, tout était à peu près comme avant. Je veux dire, il y a eu des reportages, mais il n’y a pas eu les mêmes types d’interventions de santé publique à grande échelle. Le travail était vraiment le même, mais la grande différence était juste le sentiment que nous étions dans notre propre petite bulle à faire tous ces trucs. Et maintenant, nous sommes tous touchés.

Je voudrais discuter de votre livre ” The Flu Pandemic and You ” et de certains des points de vue que vous offrez sur l’anxiété qui tend à entourer les événements pandémiques. Comment l’anxiété affecte-t-elle notre expérience cette fois-ci?
Les principes dont mon co-auteur, Colin Lee, et moi-même discutons dans ce livre sont presque entièrement parallèles entre une pandémie de grippe et la nouvelle pandémie de coronavirus. Je pense que ce que nous devons vraiment comprendre en tant que société, c’est que l’anxiété est normale. Et la fonction de l’anxiété, en tant qu’être humain, est d’attirer notre attention et de nous alerter des menaces.

C’est donc en fait un rôle incroyablement utile. Une fois que nous avons compris que c’est le rôle de l’anxiété, alors nous devons penser « Bon, l’anxiété est censée fonctionner comme ce système d’alerte pour que je fasse quelque chose. Que dois-je faire maintenant? » Si les gens sont capables de formuler des actions utiles et de déterminer ce qu’ils peuvent faire pour aider à protéger ceux qui les entourent, pour assurer leur propre sécurité et celle de leur famille, alors c’est vraiment, vraiment utile. Si les gens ont des réactions moins productives à l’anxiété, et bien sûr nous en voyons un peu, alors cela ne va pas aider.

Dans un article du Globe and Mail que vous avez écrit en janvier, vous affirmez que : « Nos esprits ont tendance à surestimer l’importance des risques inédits et à accepter nonchalamment les risques familiers. » Mais que se passe-t-il lorsque le nouveau risque devient le risque familier, et que les gouvernements et les gens commencent à assouplir prématurément les restrictions de confinement?

L’une des choses que nous pouvons faire avec le risque est de l’accepter et de comprendre qu’il existe, sans que ce soit la seule chose à laquelle nous prêtons notre attention. Mais en même temps, nous devons modifier notre comportement.

Je me souviens d’être monté dans des voitures qui n’avaient pas de ceinture de sécurité à l’arrière quand j’étais enfant. Aujourd’hui, nous pensons que c’est vraiment bizarre. Notre réflexe est désormais de boucler notre ceinture de sécurité lorsque nous montons dans une voiture. Il y a une raison à cela : si la voiture va s’écraser, alors nous avons moins de chances d’être blessés ou tués. Mais ce n’est pas comme si, chaque fois que nous montons dans une voiture, nous restions assis pendant dix secondes et imaginions un horrible accident, n’est-ce pas? On monte à bord, on boucle la ceinture de sécurité et on part.

Je pense que c’est vraiment ce que nous devons découvrir si nous nous déconfinons après la pandémie et avant qu’il n’y ait un vaccin. Il s’agit de savoir quels modèles nous pouvons changer ; de trouver ce que nous pouvons faire afin de permettre à la vie de continuer tout en modifiant notre comportement de manière à réduire les risques.

Pour en revenir à la question de l’anxiété, je pense que le danger est que si les gens ont ce genre de réaction agressive, c’est en fait une réaction à l’anxiété. Les gens n’aiment pas se sentir anxieux – cela les fait se sentir vulnérables, ils ont l’impression d’avoir moins de marge de manœuvre, peut-être. Ainsi, pour échapper à cet état émotionnel, certaines personnes chercheront un moyen de se sentir mieux en exprimant leur désaccord. C’est-à-dire : « Vous savez quoi, je n’ai pas à avoir peur de quoi que ce soit. Ne me dites pas ce que je dois faire. » Il y a un sentiment de bien-être, parce que j’ai l’impression de reprendre le contrôle, d’affirmer mon autorité, d’agir de manière puissante en faisant ce que je veux.

C’est une façon compréhensible d’essayer de se débarrasser des sentiments d’anxiété. Sauf que ce n’est pas très aidant. Les gens vont essayer d’atteindre ce sentiment vraiment à court terme de se sentir puissant, de se sentir bien, de se sentir provocateur, et de renoncer à des précautions raisonnables au profit de ce plaisir émotionnel à court terme.

Le nouveau coronavirus a également fait l’objet d’un racisme et d’une discrimination anti-asiatiques répandus. Avez-vous vécu personnellement ce type de discrimination ?
J’ai eu beaucoup de chance, et je pense que le Canada est encore relativement chanceux, dans la mesure où je ne pense pas que nous ayons eu autant de racisme anti-asiatique que beaucoup d’autres endroits dans le monde. Mais nous avons eu quelques incidents malheureux.

Je pense qu’il y a un sentiment de vouloir reprendre une certaine mesure de pouvoir personnel. Si je me sens vulnérable, s’il y a une situation que je n’aime pas, il me semble satisfaisant, d’une certaine manière, de pouvoir pointer du doigt, de pouvoir blâmer quelqu’un même s’il n’y a pas de véritable vérité de fond. Cela donne en quelque sorte ce sentiment de satisfaction. Je pense donc que cela vient de là.

Je ne veux pas trop en dire sur mes patients car, en fin de compte, je suis leur soignant et j’ai un devoir de confidentialité envers ce qu’ils me disent. Mais je peux dire que j’ai entendu des tas de commentaires qui, je pense, viennent bien de l’endroit où règne la peur.

Si une personne est d’origine chinoise et se considère comme faisant partie de la société canadienne – et surtout si elle se trouve en position de respect, en position d’autorité – il est difficile de savoir quoi faire des commentaires qui peuvent avoir une quelconque implication raciste. Vous avez probablement vu toute la débâcle de Derek Sloan en ce qui concerne ses commentaires sur Theresa Tam.

Je pense que l’incident auquel vous faites référence est celui du député conservateur Derek Sloan qui, dans une vidéo publiée sur Facebook et Twitter le mois dernier, a critiqué l’administrateur en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, et s’est demandé si elle travaillait “pour le Canada ou pour la Chine.” 

Il est vraiment très difficile de savoir quoi faire en tant que personne d’origine chinoise en réponse à l’un de ces incidents. Je pense que Theresa Tam a parfaitement géré la situation – elle a clairement indiqué que son rôle est celui d’une professionnelle profondément engagée à faire le meilleur travail possible dans un moment difficile, et qu’elle ne va donc pas s’engager dans ce qu’elle a appelé le “bruit”.

Je suis sûr que cela doit être très blessant pour elle, en tant que premier responsable de la santé publique au Canada, de recevoir des commentaires qui peuvent avoir un ton raciste de la part d’un membre élu du Parlement à la Chambre des communes. Je peux imaginer que le dilemme personnel pour elle pourrait être – et je spécule parce que je n’en suis pas sûr – qu’elle pense que la meilleure façon de vraiment montrer sa solidarité (et non qu’elle devrait le faire) et de démontrer la valeur qu’elle a en tant que membre de la société canadienne est simplement de faire le meilleur travail possible et de ne pas se laisser entraîner et distraire par ces commentaires vraiment peu recommandables.

Je ressens vraiment la même chose. J’entends des commentaires qui sont peut-être teintés de quelque chose, mais j’ai le sentiment que je suis ici en tant que professionnel et que ce que je dois faire est ce que je fais le mieux. Et dans un contexte plus large, cela devrait en soi démontrer qui je suis et ce que je représente. Mais cela ne veut pas dire que ces commentaires ne sont pas blessants. Mais cela ne veut pas dire que ces commentaires sont acceptable.

Il est juste assez difficile, lorsqu’on est dans une capacité professionnelle, de toujours répondre à ces commentaires d’une manière qui est à la fois efficace en tant que professionnel et qui les adressera sans détour. Il arrive donc que l’on décide simplement de privilégier le professionnalisme et de renoncer à toute forme de confrontation directe. En fin de compte, je ne sais pas vraiment si c’est la meilleure réponse en termes de lutte contre le racisme, mais je pense que c’est souvent la décision qui finit par être prise, ce que j’ai moi-même fait.

Depuis, Sloan a refusé de s’excuser pour ces commentaires et prétend que sa déclaration était simplement “rhétorique”. Que pensez-vous de cette explication?
Dans la culture moderne, nous avons appris que le racisme est mauvais – et je pense que beaucoup de personnes racistes diront même volontiers que le racisme est mauvais. Elle crée cette tendance à formuler des commentaires dans une sorte de justification ou de double-discours. Le commentaire de Sloan a été critiqué par les médias canadiens ; il y a répondu et ne s’est pas excusé. Il a juste dit qu’il ne faisait pas référence à l’ethnicité ou au pays d’origine de Tam. On avait l’impression qu’il parlait à double sens pour se sortir d’une situation politique très embarrassante.

Je pense que c’est parce que nous vivons dans une culture où, pour la plupart, nous avons tous convenu qu’il est mal d’être raciste. Et cela signifie que les commentaires fondés sur la race ou l’ethnicité, ou qui ont une sorte d’avantage sous-jacent, ne sont généralement pas formulés de manière ouvertement raciste. Je pense qu’une partie de ce phénomène se produit pendant cette pandémie, et il est difficile de savoir comment y faire face.

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, depuis le début de la pandémie des personnes d’ascendance asiatique sont la cible de harcèlement et de discrimination en lien avec la COVID-19. Toutefois, cette maladie met également en relief des préjugés qui perdurent contre d’autres groupes, comme les communautés juives et musulmanes, qui ont signalé une hausse des cas de harcèlement, de mauvais traitement, et de désinformation à leur égard durant les derniers mois.

À Montréal, des communautés juives hassidiques dénoncent le fait d’être injustement surveillées après que plusieurs personnes aient fait de fausses déclarations à la police affirmant que des membres de la communauté se rassemblaient dans des synagogues et d’autres espaces intérieurs. Lors d’une récente manifestation anti-confinement à Columbus, en Ohio, un manifestant tenait une pancarte antisémite disant « The real plague » (« La véritable plaie ») au-dessus d’une image d’un rat marqué d’une étoile de David. En France, un candidat du parti d’extrême droite Rassemblement National s’est vu retirer son investiture après avoir « aimé » une vidéo partagée sur le site Web de réseautage social VK qui mettait de l’avant une théorie du complot antisémite en lien avec la COVID-19.

Les Nations Unies ont noté une « hausse inquiétante » de discours haineux antisémites depuis le début de la pandémie de COVID-19. « Il est impératif que les organisations de société civile et les intervenants religieux signalent qu’elles ont une politique de tolérance zéro pour l’antisémitisme en ligne et hors ligne », a déclaré Ahmed Shaheed, rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction.

Les incidents islamophobes sont également en hausse, incluant en Inde, où « Corona Jihad » était un terme tendance sur Twitter quelques semaines après que des émeutes à caractère religieux aient coûté la vie à 53 personnes. Au Royaume-Uni, des membres de l’extrême droite ont partagé des photos fausses et trompeuses de personnes musulmanes qu’ils accusaient d’enfreindre les règlements de distanciation physique. Finalement, à Thunder Bay, en Ontario, le mari et le fils d’une docteur traitant des patients atteints de la COVID-19 furent la cible d’attaques verbales dans une épicerie.

« Tandis que des musulmans canadiens meurent de la COVID-19, il faut maintenant se soucier du fait que la communauté entière risque d’être châtiée si un seul musulman enfreint les règles d’isolement », a écrit Mustafa Farooq, directeur général du Conseil national des musulmans canadiens, dans un éditorial récent du Edmonton Journal.

Face à cette hostilité croissante, plusieurs communautés se voient également contraintes de changer certaines de leurs pratiques religieuses dans le cadre des mesures de confinement en vigueur.

Pour la pâque juive en avril dernier, plusieurs familles ont fait leurs repas traditionnels du seder par l’entremise d’applications de vidéoconférence au lieu de se rassembler autour d’une table.

Certains fidèles ont adapté des éléments du seder afin de refléter l’époque actuelle, décidant entre autres de compléter le lavage de mains rituel — souvent fait de manière symbolique — en reconnaissance des directives en vigueur en matière de santé publique. D’autres aspects de cette pâque avaient également une résonance inhabituelle; le fait de se rassembler pour commémorer les dix plaies ayant mené à l’Exode juif d’Égypte alors qu’une tout autre « plaie » menace la population avait un sens particulier cette année.

Maintenant, en plein ramadan, les musulmans tentent de composer avec les nouvelles restrictions qui affectent leurs jeûnes quotidiens et les festivités de l’Aïd.

« L’islam est une religion très communautaire, et ramadan est en quelque sorte l’apogée de cet esprit communautaire », dit Safiah Chowdhury, une musulmane torontoise de 31 ans très active dans sa communauté confessionnelle. « Les règlements de distanciation physique et la fermeture de nos mosquées dans le contexte actuel font obstacle à l’esprit de communauté qui est si présent lors de ramadan. Ça a un effet majeur », dit-elle.

Ces difficultés arrivent à un moment où certains ont le plus besoin de fêtes comme le ramadan. Des études démontrent que le fait d’avoir une pratique religieuse peut augmenter le bonheur en général. En 2010, un sondage Gallup mené auprès de plus de 675 000 Américains a révélé que les personnes qui s’identifiaient comme étant très religieuses (environ 41 pour cent de la population) avaient des taux plus élevés de santé affective, de comportements sains, et de bien-être général. Toutefois, la pandémie de COVID-19 et les fermetures qu’elle a entraînées font en sorte qu’il est de plus en plus difficile pour des individus de se tourner vers leurs communautés religieuses pour du soutien.

« Les rassemblements numériques, c’est bien, mais ça ne remplace en rien le sentiment d’être parmi des centaines de membres de la communauté parés de leurs plus beaux atours pour l’Aïd », dit Chowdhury. Elle ajoute que plusieurs des alternatives numériques actuelles — comme la célébration de l’iftar (la rupture du jeûne quotidien) par vidéoconférence, et l’accès à une programmation religieuse en ligne — ont eu un impact positif. « Rien de tout cela ne remplace les vraies prières, mais cela permet tout de même un grand partage de connaissances et de réflexions », dit-elle.

Malgré les mesures de distanciation physique, certaines villes se sont engagées à accommoder les fêtes religieuses de manières inusitées. Pour la première fois, la ville de Toronto permet aux mosquées locales de diffuser l’appel à la prière musulmane. En temps normal, tout son amplifié est interdit par le code municipal, mais des représentants de la ville se sont mis d’accord pour permettre une exception, reconnaissant les difficultés auxquelles les musulmans de la ville font face dans le contexte de la pandémie. « Le bien-être spirituel, affectif et mental est important durant cette période difficile », a déclaré Tammy Robinson, une porte-parole de la ville, à la CBC.

Tout comme les applaudissements quotidiens à 19:30 en soutien aux professionnels de la santé, l’appel à la prière de Toronto se veut un signe de solidarité communautaire avec les musulmans isolés à la maison et séparés de leurs familles et de leurs amis. Pour sa part, Chowdhury dit que ce genre de mesure est source de réconfort dans des circonstances autrement difficiles. « Si vous êtes situé à proximité et que vous pouvez l’entendre, ça crée un sentiment d’apaisement et de réaffirmation », dit-elle. « C’est l’une des belles choses qui est ressortie de ce ramadan en isolement. »

Toute personne cherchant à mieux comprendre la pandémie de COVID-19 sait qu’il peut être difficile d’accéder à des informations fiables dans un paysage informationnel miné de mésinformation et de désinformation, de mythes, et de théories du complot.

Afin de répondre aux tendances inquiétantes ayant fait surface en ligne, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a lancé un avertissement concernant le phénomène d’infodémie, qu’elle définit comme étant « une surabondance d’informations, de véracité variable, qui entrave la capacité de la population à trouver des sources et des conseils fiables lorsqu’elle en a besoin. »

Une grande partie de la désinformation et des théories du complot liées à la COVID-19 qui se propagent en ligne reposent sur des sentiments antichinois et racistes. Un rapport récent du Institute for Strategic Dialogue (« Institut pour un dialogue stratégique » ou ISD) a constaté que la COVID-19 est un « outil puissant de propagande » permettant aux groupes d’extrême droite de radicaliser davantage leurs abonnés Facebook, Twitter, et YouTube.

Selon l’ISD, l’un des moyens de contrecarrer la désinformation est « [d’]inonder l’espace informationnel d’informations exactes fondées sur des faits, dans des formats facilement assimilables. »

Il est essentiel d’avoir des reportages et une vérification des faits assidus afin de freiner la mésinformation et la désinformation. Ainsi, l’Institut pour la citoyenneté canadienne s’est allié au projet Walrus Fact-Checking (« projet de vérification des faits du Walrus ») afin d’aider à réfuter les fausses allégations liées à la COVID-19. Voici deux allégations fortement répandues qui, selon nos vérificateurs de faits, manquent de preuves et sont fondées sur la xénophobie.

VÉRIFICATION DES FAITS : Le nouveau coronavirus a-t-il été créé intentionnellement dans un laboratoire chinois?

L’un des mythes les plus populaires — récemment repris par le secrétaire d’État Mike Pompeo et par le président Donald Trump — veut que le virus causant la COVID-19 ait été créé de manière délibérée dans un laboratoire de Wuhan. Dans son enquête, Walrus Fact-Checking n’a trouvé aucune preuve soutenant cette allégation :

« Une équipe de chercheurs a analysé la séquence du génome du virus et a conclu, dans sa recherche publiée dans Nature Medicine, que “le SRAS-CoV-2 [le nouveau coronavirus] n’a pas été créé en laboratoire et n’est pas un virus manipulé délibérément.”

Selon l’étude, les génomes du virus montrent des signes de sélection naturelle, ce qui veut dire qu’il a évolué de manières imprévues et complètement différentes des virus dont disposent les laboratoires. »

Il existe également d’autres théories quant à l’origine du virus — notamment que le virus aurait fui d’un laboratoire accidentellement, ou qu’il proviendrait du Marché aux fruits de mer de Huanan. Toutefois, les scientifiques ne savent toujours pas de manière certaine où la transmission initiale d’un animal à un humain a pu avoir lieu.

Bien que certains éléments de preuve démontrent un lien entre plusieurs cas du nouveau coronavirus et l’emplacement du marché, d’autres données suggèrent que les tout premiers cas du virus n’avaient pas de lien connu avec le marché. Malheureusement, plutôt que de se s’appuyer sur les faits disponibles, une grande partie de la discussion à propos de l’origine du virus sert à alimenter la discrimination. Certains usagers de médias sociaux favorisent la théorie selon laquelle le virus proviendrait d’un marché humide, encourageant ainsi des préjugés contre la nourriture et la culture chinoises.

« L’éclosion du virus a eu un effet déshumanisant, » a écrit Jenny Zhang sur le site d’alimentation Eater, « ravivant de vieilles idées racistes et xénophobes dépeignant les Chinois comme “autres” non civilisés et barbares. »

VÉRIFICATION DES FAITS : Des interdictions de voyager imposées à la Chine auraient-elles pu prévenir la propagation de la COVID-19 au Canada?

Depuis l’éclosion du virus, d’innombrables attaques antichinoises ont été enregistrées à travers le monde : la propriété d’une famille de Perth, en Australie fut vandalisée avec un graffiti disant « virus get out » (« hors d’ici virus »); le journal français le Courrier picard a publié un article qui avait comme titre « Alerte jaune »; et à Vancouver, un homme asiatique âgé a été poussé au sol à l’extérieur d’un dépanneur par un attaquant qui lui criait également des insultes raciales tout en faisant référence à la COVID-19.

Ces actes racistes trouvent également écho dans une demande marquée pour des mesures politiques visant les voyageurs chinois. Un autre article de Walrus Fact-Checking a analysé une allégation affirmant qu’une interdiction de voyager imposée à la Chine aurait pu protéger le Canada de la COVID-19, et a conclu que très peu d’éléments supportaient cette hypothèse :

« Tel que révélé par des recherches sur le VIH/SIDA, l’Ebola, la grippe, et le H1N1, non seulement les interdictions ciblées discriminent-elles en fonction de l’origine nationale des voyageurs, mais les restrictions de voyage qui visent un pays en particulier ne pas très efficaces en général […] Think Global Health a comparé le nombre de cas présents dans les pays qui avaient mis en place des interdictions de voyager contre la Chine avec ceux où des restrictions n’avaient pas été appliquées, et a conclu que ce genre d’interdiction ne semble pas affecter la propagation du virus. »

Le fait de sauter à des conclusions xénophobes sans se questionner sur leur fondement factuel est l’une des caractéristiques de l’infodémie, et il faut que les décideurs politiques, les médias, et le public s’efforcent de combattre ce problème.

Comme l’a écrit Scott Radnitz dans The Guardian, bien qu’il y ait des parallèles à dresser entre infodémie et pandémie, les deux phénomènes n’opèrent pas de la même manière. Par exemple, il est plus facile de répandre de fausses informations qu’un virus, grâce entre autres aux médias sociaux, qui permettent une transmission d’idées sans contact physique. Et, contrairement aux personnes ayant contracté la COVID-19, la mésinformation n’est pas toujours propagée par des « intermédiaires passifs ». Par exemple, il existe des extrémistes et des groupes haineux qui la propagent afin de semer la peur, la panique, et la haine. Toutefois, la transmission de mythes et de mésinformation peut être freinée et, si les bonnes informations sont aussi largement distribuées, cette transmission peut être inversée.

Auteur: Sejla Rizvic

Étant donné que nous étions dans l’incapacité de se réunir en personne pour 6 Degrees Montréal, nous avons invité deux chefs de file montréalais à se rencontrer en ligne et à discuter de communauté, d’activisme et de leadership communautaire.

Nous avons avec nous la directrice générale de L’apathie c’est plate, Caro Loutfi, et le cofondateur et directeur général de Pour 3 Points, Fabrice Vil. Bienvenue à vous deux!

Comment le contexte actuel de COVID-19 a-t-il transformé votre travail? Plus précisément, comment a-t-il changé l’impact de votre travail?

Caro Loutfi : Pour nos programmes en ce moment, les jeunes se réunissent à travers un écran comme nous on le fait maintenant. Pour nous, il est important de continuer d’offrir des opportunités où les jeunes peuvent se réunir, et trouver de la communauté dans des moments d’isolement. Ça aide beaucoup d’avoir une communauté, d’avoir d’autres jeunes avec qui interagir, participer, apprendre, et poursuivre ses projets.

Fabrice Vil : Pour 3 Points est une organisation qui forme des coachs sportifs qui interviennent auprès des jeunes. Et ces formations se passent généralement de façon physique : on a des retraites, on est en groupe, on est ensemble. Le sentiment de communauté demeure quand même dans ce contexte où on est éloignés, mais tous nos rassemblements se font en ligne.

Et le sens du mot « communauté », Caro, que tu mentionnes, me parle beaucoup, car il a été central à comment j’ai vécu le début du confinement. Quel genre de réflexions avez-vous en ce qui a trait au leadership dans la communauté et aux notions d’égalité et de justice sociale?

CL : La mission de L’apathie c’est plate est de mobiliser les jeunes à s’impliquer et à être des citoyens actifs engagés dans leurs communautés et dans notre démocratie. Alors, c’est sûr que dans des moments comme maintenant, l’engagement citoyen et l’engagement collectif sont vraiment importants. Notre mission et notre raison d’être sont liées aux enjeux de la communauté et du monde en ce moment.

L’isolement et le fait que plusieurs travaillent ou participent dans leurs communautés de façon virtuelle sont de grands enjeux en ce moment. Certains jeunes n’ont simplement pas accès à Internet, et c’est donc un enjeu qui nous interpelle. Quel est le rôle des gouvernements et des compagnies qui ont ce pouvoir de décider qui a le droit d’avoir accès? C’est une question d’argent, c’est une question de soutien. Je crois que les fournisseurs d’Internet ont une responsabilité en ce moment.

Il y a deux enjeux auxquels on s’intéresse. Premièrement, la connectivité et comment être engagé comme citoyen si tu n’as pas d’accès, si tu n’as pas ce privilège. Deuxièmement, qu’est-ce qu’on fait pour soutenir les personnes qui ont des enjeux liés à la santé mentale ? Oui, c’est important qu’on respecte l’isolement social pour prévenir la propagation de la COVID-19, mais en même temps on paye un prix en ce qui a trait santé mentale de différentes communautés, particulièrement les jeunes issus de communautés marginalisées.

FV : Ces deux enjeux me rejoignent. La question de la connectivité, ça a été un des défis majeurs pour nos coachs. En particulier pour un coach qui travaille à Lachine, qui m’a dit : « Fabrice, je me demande si je vais appeler Bell moi-même pour essayer de faire un deal pour que les jeunes du bloc aient accès à Internet. » Ça m’a marqué, parce qu’effectivement, c’est également un enjeu pour les adultes. Par exemple, la manière la plus efficace d’accéder aux prestations d’urgence est par Internet. Si tu n’as pas Internet, tu ne peux même pas avoir accès aux ressources financières pour subvenir à tes besoins si tu te retrouves sans emploi.

Un autre élément qui me parle, c’est la question de la vulnérabilité. Dans les derniers jours, il y a de plus en plus de données qui indiquent que Montréal-Nord est un des quartiers les plus à risque, où le taux d’expansion de la pandémie est le plus élevé. C’était Côte-des-Neiges, et maintenant c’est Montréal-Nord, qui est l’un des arrondissements les plus pauvres au pays, et ça me fait penser à quel point il y a beaucoup de facteurs à considérer.

Au début de la pandémie, des gens de la communauté noire disaient que le coronavirus ne touchait que les personnes blanches et asiatiques, et pas les personnes noires. Donc, il y avait de la désinformation au sein de la communauté. Moi, j’ai participé à une campagne pour dire : « Écoutez, Idris Elba et Kevin Durant sont tombés malades, Manu Dibango est mort… » Les populations noires se sont mobilisées en disant : « Restez à la maison! On est aussi atteints! » Et là, on a vu aux États-Unis, les noirs meurent du virus de façon disproportionnée. Mais au Québec, et, je crois, au reste du Canada, nous n’avons pas accès aux données des décès selon la couleur de la peau, donc on ne connaît pas les données.

Il y a aussi les travailleurs essentiels, qui sont souvent des personnes racisées. Ce sont des personnes qu’on ne voit pas. Par exemple, les préposés aux bénéficiaires dans les hôpitaux, les livreurs, et d’autres. Moi, je trouve que c’est important parce que dans une perspective d’inclusion, on ne peut pas juste parler de la population en général.

CL : C’est incroyable qu’on n’ait pas de données démographiques raciales, et de comment la COVID-19 impacte nos communautés, parce que c’est certain que l’impact est différent selon le contexte de chaque communauté. Le gouvernement ne peut pas offrir de services uniques pour les différentes communautés en besoin si on n’a pas les données.

Si on mettait suffisamment de pression sur le gouvernement, peut-être qu’il commencerait à recueillir ces données.

FV : Pour faire suite à cette question de faire de la pression sur les différents gouvernements, je réfléchis beaucoup dans le contexte actuel à la notion de pouvoir, et à comment les individus sur le terrain ont parfois un pouvoir qu’on ignore, ou qui demeure invisible. Je fais un parallèle curieux, mais un virus a réussi à faire tout ça! C’est purement biologique, mais malgré tout des structures sociales conventionnelles demeurent en place, et certaines d’entre elles sont vraiment ébranlées.

On n’entend pas parler des jeunes comme solution en ce moment. Qu’est-ce qu’ils ont à dire en ce moment? On ne les entend pas, et pourtant il y a un potentiel de pouvoir là. Parce que la pandémie nous montre que la personne en veston cravate à qui on a accordé une légitimité, elle a une certaine légitimité, mais pas par rapport à tout. Ce serait cool si à travers nos structures sociales on honorait tous les types de pouvoir.

CL : Oui, en fait c’est vraiment ça notre vision chez L’apathie c’est plate. Que chaque jeune réalise son pouvoir, et agisse. Ce n’est pas nécessairement toujours fait de façon formelle, comme participer à des élections. Ça peut aussi être une participation communautaire, une participation au niveau du partage d’information, ou du soutien de leurs communautés.

Je suis complètement d’accord qu’il y a un pouvoir qui est invisible. Nous, on fait beaucoup de recherche, et on va faire un rapport pendant l’été sur comment les jeunes à travers le pays en ce moment réagissent à la pandémie et comment ça va influencer leur façon de s’impliquer dans la communauté. Et comment ça va changer leur mentalité. Il va y avoir de nouvelles façons de faire, de nouvelles questions. Il y a déjà des inquiétudes au niveau du pouvoir du gouvernement. Il existe des exemples dans l’histoire de moments comme celui-ci où il est difficile pour les gouvernements d’en venir au fait qu’ils n’ont pas autant de pouvoir sur les citoyens après la fin d’une telle situation.

Alors, ce sera intéressant de voir comment les jeunes vont percevoir le gouvernement ou nos institutions, nos leaders. Et puis comment ça va aussi changer la relation entre nos citoyens. Entre les jeunes et les décideurs comme les personnes en position de pouvoir.

FV : J’ai hâte de lire ce rapport. C’est en automne que ça va sortir?

CL : Probablement. On va recueillir les données pendant l’été. Ce n’est pas un rapport axé principalement sur la pandémie, mais vraiment un regard sur comment les jeunes s’engagent dans leurs communautés. Sont-ils engagés ou non? De quelle façon? Qu’est-ce qui les mobilise? Qu’est-ce qui les intéresse? Mais étant donnée la pandémie, on va inclure une section sur comment la pandémie a changé leur façon de faire ou leur vision.

Auriez-vous un appel à l’action à proposer au gouvernement, aux individus ou aux leaders, sur comment être des citoyens actifs dans le contexte actuel?

CL : Je dirais trois choses suite à notre conversation. Je pense que le gouvernement et les compagnies devraient s’assurer d’offrir un accès gratuit à Internet. Je pense que ce serait vraiment intéressant, particulièrement pour les personnes qui n’y ont pas accès en ce moment pendant la pandémie.

Deuxièmement, je pense qu’on a besoin d’une meilleure approche à la santé mentale à travers toutes les provinces. Chaque province est différente, mais il y a vraiment des trous dans notre système au niveau des services. Il faudrait offrir des services gratuitement aux jeunes qui, encore une fois, ont vraiment besoin de ces ressources.

Puis, troisièmement, je vais répéter ce que Fabrice a dit par rapport au pouvoir qu’on ne voit pas nécessairement. J’ai vraiment aimé la comparaison au virus. C’est un pouvoir invisible, en fait, qui a complètement changé nos façons de faire. Je pense que si on peut parler un peu plus du pouvoir qu’ont les jeunes à travers le pays pour mobiliser, pour changer les façons de faire, un pouvoir qu’ils perçoivent comme étant invisible, mais qui est présent et qui peut avoir un impact majeur.

FV : Je partage l’ensemble de ce que tu as mentionné, Caro, et il y a un autre élément qui me vient à l’esprit. C’est qu’on a vraiment pu voir notre capacité collective à se mobiliser dans l’urgence. On a fait des choses collectivement – les citoyens, les entreprises, les gouvernements – qu’on n’avait jamais pensé qu’on serait capable de faire. Et là, moi je m’attends à ce qu’on fasse les mêmes choses pour tous les enjeux qui ont l’air moins urgents, qu’il s’agisse d’enjeux sociaux ou environnementaux. Je crois qu’on est responsables collectivement de garder le même rythme et la même pression.

Parce que quand ce ne sera pas le virus, ce sera la montée des eaux dans quelques années. Ça va venir vite. Il faut donc garder le souvenir de ce qu’on vit présentement, et se rappeler qu’on est capable de faire des choses drastiques. J’ai confiance en nous.

La pandémie de COVID-19 nous a contraints à adopter un nouveau glossaire terminologique qui n’était pas connu de tous. Les masques N95, l’intubation et le R0 (nombre utilisé pour décrire le taux de propagation d’une maladie) font maintenant partie du discours populaire, mais certains termes demeurent ambigus pour plusieurs — comme la différence précise entre « auto-isolement » et « quarantaine ». Tout ce nouveau vocabulaire peut engendrer de l’incertitude et de la désinformation à un moment où un langage clair est primordial.

Pour compliquer encore plus les choses, le virus est connu sous diverses appellations, dont « coronavirus » (catégorie générale à laquelle le virus appartient), « COVID-19 » (nom de la maladie causée par le virus), et « SRAS-CoV-2 » (nom de la souche virale actuelle).

Les experts affirment que lorsqu’une confusion linguistique accompagne l’anxiété quotidienne causée par une pandémie mondiale, un environnement où la mésinformation se prolifère est apte à se développer. Cela peut être une menace pour la santé publique pour plusieurs raisons, incluant le potentiel de discrimination et de racisme.

Par exemple, des termes comme « virus de Wuhan » ou « virus chinois », repris par les médias de droite et employés jusqu’à tout récemment par le président des États-Unis, Donald Trump, alimentent un racisme antichinois et anti-asiatique déjà répandu dans le cadre de cette pandémie.

En février dernier, la Asian American Journalists Association (Association des journalistes américains d’origine asiatique) publiait la recommandation suivante : « Nous exhortons les journalistes à se montrer prudents dans leur couverture de l’éclosion de la maladie à coronavirus en Chine afin d’assurer une représentation juste et exacte des Asiatiques et des Américains d’origine asiatique, afin d’éviter d’alimenter la xénophobie et le racisme. » Les lignes directrices de l’association conseillaient de ne pas utiliser de photos montrant des personnes asiatiques portant des masques ou des images génériques de quartiers chinois pour illustrer des articles sans également fournir un contexte adéquat, puisqu’une telle utilisation serait apte à stigmatiser davantage ces communautés. L’association mettait également les journalistes en garde contre l’emploi de termes tels que « coronavirus chinois » et « virus de Wuhan », un vocable qui laisse entendre un lien entre le virus et un lieu géographique — une supposition qui est à la fois dommageable et inexacte, selon les experts.

« Ce terme obscurcit plus qu’il ne clarifie », dit Gregory Trevors, qui étudie la mésinformation et est professeur adjoint en psychologie de l’éducation à la University of South Carolina. « La plupart des cas du virus sont situés à l’extérieur de Wuhan, et le virus n’a rien d’intrinsèquement “chinois” », explique-t-il. « Ce n’est donc pas un terme utile. »

Il existe plusieurs exemples passés de noms qui stigmatisaient certaines communautés et favorisaient la circulation de fausses informations sur l’origine et la transmission de maladies. Une éclosion de hantavirus, identifiée après la mort d’un homme navajo en 1993, fut connue par la suite sous le nom de « maladie navajo »; l’Ebola, un virus nommé d’après une rivière située près de la région où il fut découvert, a engendré d’innombrables incidents racistes contre les Ouest-Africains en 2014; et la maladie que nous appelons maintenant le SIDA fut à une époque appelée GRID, un acronyme qui signifie « Gay-related immunodeficiency » (« immunodéficience liée à l’homosexualité »). De tels noms risquent d’entraîner des mesures politiques moins efficaces, d’alimenter les attaques xénophobes et la discrimination, et de contribuer à une mésinformation publique généralisée.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dispose de directives pour nommer les nouveaux virus depuis au moins 2015. Elle recommande de ne pas utiliser de lieux géographiques ni d’autres facteurs susceptibles d’induire en erreur ou qui pourraient encourager toute discrimination. Le processus formel d’appellation de maladies peut toutefois être difficile, et lorsque certains noms entrent dans le langage populaire, il est difficile de les changer.

Selon Trevors, cette tendance à accepter des informations stigmatisantes provenant de sources douteuses est liée à nos émotions et au processus décisionnel lorsque l’on se retrouve dans une situation incertaine. « Face à la peur et à l’anxiété, nous recherchons la certitude. Nous n’aimons pas cet état d’incertitude, » dit-il. « Nous essayons de trouver ce qui nous procurera un sentiment de sécurité.

« Sans une certaine connaissance de la théorie germinale des maladies infectieuses, on peut être porté à s’accrocher aux informations qui nous donnent un sentiment de contrôle, et à se dire que ce savoir nous protégera. »

Un rapport récent de l’OMS fait écho à cette théorie, liant la stigmatisation rattachée à la maladie à coronavirus à trois facteurs : les caractéristiques nouvelles et inconnues de la maladie, notre peur de l’inconnu, et la tendance à « associer cette peur à un “autre” ».

Malheureusement, cette manière de penser tend à produire des conclusions dangereuses et inexactes, et nous éloigne des efforts coopératifs mondiaux et communautaires qui sont essentiels dans un contexte de crise.

« Cela est dommageable, mine la coopération et mine l’idée que nous avons tous un objectif et des intérêts partagés dans cette situation, » dit Trevors. « Chaque fois que nous employons un langage qui sème la discorde, notre capacité à répondre de manière efficace est compromise. »

Tandis que le vocabulaire lié à la maladie à coronavirus continue de changer, un mouvement concerté vers une terminologie précise, compatissante, et qui résiste à la mésinterprétation peut avoir un impact profond. Lors d’une conférence de presse le 20 mars dernier, Maria Van Kerkhove, une épidémiologiste travaillant pour l’OMS, a expliqué pourquoi l’organisation utiliserait dorénavant le terme « distanciation physique » plutôt que « distanciation sociale ».

« La distanciation sociale entre personnes afin de prévenir la transmission du virus est absolument essentielle. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il faut se déconnecter de nos proches et de notre famille », a-t-elle déclaré. En temps de crise, la cohésion sociale et le soutien social sont essentiels pour promouvoir la santé publique.

Par Sejla Rizvic

Étant donné l’impossibilité de se rassembler en personne pour 6 Degrees Montréal, nous avons fait appel à deux écrivains remarquables—Jessikka Aro et Cory Doctorow—afin qu’ils discutent des défis posés par la désinformation et de l’importance de la résilience sociétale.

Aro est une journaliste finlandaise, spécialiste en guerre de l’information. Doctorow est un écrivain et militant britanno-canadien. Au cours de leur conversation variée, ils ont discuté de la « crise épistémologique » à laquelle nous faisons face, des manières dont les spécialistes en désinformation profitent du fait que l’occident favorise actuellement l’avancement de la littératie médiatique, de la montée des géants du numérique, et de la difficulté de définir, d’aborder, et d’éliminer les discours haineux en ligne.

Cette conversation a été modifiée pour des raisons de clarté et de longueur.

6 Degrees : Jessikka, pouvez-vous commencer en partageant quelques réflexions sur votre travail et votre expérience, et ensuite poursuivre avec Cory?

Jessikka Aro : En 2014, j’ai commencé à enquêter sur les trolls russes, et plus particulièrement sur l’impact qu’ils avaient sur les citoyens. J’ai vite compris que Facebook, Twitter et YouTube permettaient toute cette guerre de l’information, cette propagande et cette désinformation financée par l’État. Malheureusement, Facebook, Twitter et YouTube ont été très naïfs, voire négligents, à cet égard. Ces entreprises se soucient davantage de leurs résultats financiers que de notre sécurité. Selon moi, c’est une question de droits des consommateurs. En tant que consommateurs, en tant qu’utilisateurs de ces produits, nous devrions pouvoir consommer un contenu sûr. Et à l’heure actuelle, le contenu n’est pas sûr.

Cory Doctorow : Lorsqu’il est question de désinformation, on met beaucoup l’accent sur le fait que les gens ne s’entendent pas sur ce qui est vrai, et on ne parle pas assez de comment les gens arrivent à savoir que quelque chose est vrai. C’est-à-dire que l’on surthéorise les divergences de croyances et l’on sous-théorise les divergences épistémologiques. Et je crois que si l’on veut en arriver à comprendre la désinformation et pourquoi elle est si efficace en ce moment, il nous faut examiner la crise épistémologique actuelle, l’ascension constante des géants numériques, et ce qui permet cette montée, c’est-à-dire l’ascension constante de monopoles et d’inégalités.

Dans une société technologique complexe, je ne crois pas qu’il est possible pour des individus d’évaluer la validité de toute l’information qu’ils rencontrent. Historiquement, lorsqu’il était question de littératie médiatique, il s’agissait de faire ses devoirs, de se demander en quoi l’auteur pouvait tirer profit, se renseigner sur ses sources, puis déterminer si ce que l’auteur affirmait était vrai.

Danah Boyd a expliqué comment ce principe de base en littératie médiatique est extrêmement facile à utiliser à des fins destructrices. Il est important de « faire ses devoirs », mais je crois qu’au lieu de rendre des sujets techniques plus lisibles pour les profanes—et nous sommes tous profanes au-delà de nos domaines d’expertise respectifs—il faut continuer d’avoir des processus lisibles afin de mieux parcourir toute cette complexité. Cela implique des experts qui présentent différents points de vue, évaluent les affirmations faites, révèlent les conflits d’intérêts, et réévaluent l’information selon de nouvelles preuves. Voilà comment nous en sommes toujours venus à savoir les choses : à travers un processus valide. Ce que nous vivons depuis 40 ans, c’est une délégitimation du processus, et c’est ce qui a jeté les bases pour cette croyance en divers complots.

C’est l’effondrement de cette confiance qu’exploitent les campagnes de désinformation, et bien qu’il faut trouver des moyens d’empêcher les gens de croire en ces faussetés, il faut aussi rassurer les gens—avec des actions qui obligent ces puissances à être plus pluralistes et responsables et en phase avec la vérité—que les conclusions que nous tirons de notre quête de la vérité sont effectivement vraies. Et ainsi, le public pourra se fier à des comptes rendus officiels—qu’il s’agisse de conseils sur la vaccination ou sur l’économie—plutôt que d’avoir tout ce culte de la personnalité, où l’on en vient à croire une personne qui semble savoir de quoi elle parle au lieu de se fier aux experts.

JA : Au cours de mon enquête, j’ai parlé à des Finlandais ordinaires qui avaient changé leurs idées, attitudes ou comportements après avoir été affectés par des trolls russes avec de faux profils, et par des blogues pro-Kremlin. Au beau milieu de cette crise de santé mondiale, nous constatons actuellement que la Russie propage de plus en plus de théories du complot à propos du coronavirus. Par exemple, que les États-Unis ont créé ce virus, ou encore que le virus sert à attaquer la Chine. L’occident s’efforce de freiner la propagation de ce virus, et pendant ce temps la Russie nous attaque avec des trolls.

CD : Ça, c’est la Russie, en somme. Je suis issu d’une famille de réfugiés soviétiques, et je ne suis nullement un apologiste des violations des droits de l’homme ni de la corruption de l’État russe. Nous pouvons faire certaines choses pour contrôler les activités néfastes de la Russie, mais nous devrions vraiment travailler à accroître notre résilience.

La Russie est un état défaillant, désespéré, et chancelant : son taux de mortalité est en hausse, sa productivité est en baisse; c’est le chaos.

JA : Et c’est notre voisin, en plus!

CD : Effectivement. Alors, si cet État pétrolier désespéré et en pleine décrépitude, avec son président franchement pas très brillant qui arrive malgré tout à diriger le pays en terrorisant son peuple ou en luttant avec des ours, si ce pays parvient à avoir un impact aussi disproportionné sur le reste du monde, il faut se soucier non seulement de ce type-là, mais aussi se dire que ça en dit long sur notre manque de résilience. Quel a été l’impact de 10 ans d’austérité dans la zone euro sur la confiance que les gens accordent à leurs institutions? Les gens croient à des choses terribles de concert avec les choses terribles qui se passent dans leurs vies, et les gens cessent de croire à leurs institutions lorsque ces institutions les laissent tomber.

JA : Vous parliez de cette distinction entre le vrai et le faux—c’est l’un des aspects de la désinformation. Selon mon expérience, les manifestations les plus nocives d’infoguerre sont des actes criminels : menaces illégales, diffamation, incitation à la haine contre des minorités. Voilà quelques-uns des outils dans l’arsenal des services de sécurité russes. Je comprends qu’il peut être difficile pour les géants des médias sociaux de décider s’ils devraient laisser les gens propager des théories du complot, mais ne pourraient-ils pas au moins empêcher ces actes criminels?

CD : Patrick Ball, du Human Rights Data Analysis Group (Groupe d’analyse des données pour les droits de la personne), a travaillé de près avec les yézidis lors du génocide de leur communauté, et l’une des choses que les yézidis faisaient était de publier des vidéos avec des témoignages des attaques, et des preuves vidéo de celles-ci. Elles furent supprimées pour cause de contenu extrémiste violent. Alors, comment peut-on obtenir justice pour les victimes des actes criminels les plus violents qui soient? Si l’on se soucie de l’incitation à la violence provoquée par les propos haineux, il faut également se soucier de la violence comme telle.

JA : Je suis d’accord jusqu’à un certain point sur la manière et la difficulté de définir les discours haineux. C’est souvent très difficile, même pour les modérateurs bien éduqués qui gèrent les sections de commentaires sur les sites Web des médias traditionnels. Le langage, c’est beau et éloquent, et on peut faire des choses merveilleuses ou horribles avec. Mais alors, il y a certains trucs que Facebook et d’autres entreprises laissent se faufiler qui n’ont rien de sorcier. Comme des groupes qui harcèlent, attaquent et traquent des individus, et fantasment sur la mort de ceux-ci. Il y a des utilisateurs qui signalent ces groupes, et je suis même allée au siège social de Facebook à Silicon Valley pour les signaler en personne, mais les groupes en question existent toujours.

CD : Je n’utilise pas Facebook, WhatsApp et Instagram. Je crois que ce sont des forces pour le mal dans le monde.

Ce que vous avez identifié, c’est l’impossibilité d’opérer une plateforme de la taille de Facebook, Google ou Twitter de manière responsable. Si vous avez 2,5 milliards d’utilisateurs et que vous êtes Mark Zuckerberg, il vous faut gérer 25 000 cas sans précédent chaque jour. C’est impossible d’y arriver.

Je pense qu’il faut juste les démanteler. Je crois qu’il faut détruire ces entreprises. Avec le RGPD, on a pu dire : « Si vous voulez recueillir toutes ces données, il vous faut payer plein d’argent pour créer un régime de conformité qui assurera que vous les traiterez de manière responsable. » Puis, un an plus tard, il ne restait plus aucune entreprise de publicité numérique européenne, toutes ces entreprises sont américaines, car elles seules peuvent se permettre ces dépenses. On aurait dû simplement dire : « Ne recueillez pas de données. Aucune collecte de données. Illégal. Et si on vous attrape, on démantèle votre entreprise, on vous colle tellement d’amendes que vous allez faire faillite, et on met vos dirigeants en prison. »

JA : Je suis complètement d’accord. Merci d’avoir abordé ce sujet. Je me demandais pourquoi Facebook et d’autres entreprises n’avaient pas été poursuivies par plein de gens, ou de nations.

En Finlande, la population est plutôt bien éduquée. On a même l’université gratuite. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle nous sommes souvent perçus comme étant une nation résiliente. C’est une philosophie et une politique remarquable. Bien entendu, ce n’est pas possible partout, mais c’est une source de résilience efficace. Cette résilience vient de cette capacité d’interpréter les médias et Internet de manière critique, à reconnaître les fausses nouvelles et les erreurs d’argumentation, c’est la base de ce que l’on enseigne dans les écoles finlandaises. Nous devons également avoir des options de réglementation, pas seulement dans l’Union européenne, mais aussi en Amérique du Nord, là où ces entreprises peuvent être soumises à un certain pouvoir de réglementation.

Et, bien entendu, il y a des efforts bénévoles—comme des journalistes qui font le tour des écoles et forment des enfants gratuitement. Mais je me demande vraiment pourquoi il n’y a pas d’actions citoyennes contre ces géants des médias sociaux; contre leur tyrannie, en somme. Je ne comprends pas pourquoi tant de consommateurs sont prêts à accepter tout cela comme étant une nouvelle norme et une nouvelle réalité. L’enquête de Robert Mueller sur l’ingérence russe dans le processus électoral des États-Unis a révélé que 126 millions d’Américains avaient été affectés par des trolls russes avant les élections. En tant que gouvernement, ne voudriez-vous pas protéger vos citoyens?

Il y a plusieurs manières pour les gouvernements, les plateformes numériques, et les citoyen·ne·s d’aborder et de mitiger la désinformation, tout en bâtissant leur résilience à celle-ci. Vous pouvez en apprendre plus sur le Projet pour la résilience citoyenne ici, et jeter un coup d’œil à des entrevues avec la philosophe suédoise Åsa Wikforss, et avec des membres du mouvement mondial de rétablissement des faits.

En ces temps difficiles, les communautés se rassemblent pour soutenir leurs membres les plus vulnérables. Malheureusement, certaines communautés deviennent la cible d’attaques haineuses en ligne comme ailleurs.

Nous avons parlé avec Alena Helgeson, fondatrice de #iamhereCanada, de ses efforts pour combattre les informations haineuses, fausses et trompeuses grâce au rétablissement des faits, avons discuté de pandémie de la COVID-19 et de l’impact du contenu numérique sur le monde physique.

Pouvez-vous décrire ce qu’est ce mouvement et pourquoi des groupes en ligne comme #iamhere sont importants?
Rétablir les faits, c’est essentiellement aller sur les plateformes ou dans les sections de commentaires des médias sociaux, et créer un message alternatif. Nous voyons une minorité bruyante qui essaie de perpétuer un message particulier qui n’est pas vrai – désinformation, ou beaucoup de racisme subtil (ou pas si subtil) – donc il est très important de pouvoir rétablir les faits. La majorité silencieuse peut voir [ce message] et peut commencer à équilibrer ce qui pourrait être vrai et ce qui pourrait ne pas l’être. De plus, le rétablissement des faits permet de créer un espace pour que les personnes qui pourraient se sentir réduites au silence ou marginalisées aient cet espace pour partager leurs pensées et leurs points de vue.

J’ai parlé du projet Dangerous Speech de Harvard – ils se concentrent vraiment sur ce qu’est un discours dangereux. Le discours de haine est très subjectif. Ce qui peut être considéré comme un discours de haine pour une personne peut ne pas l’être pour une autre personne.

Le Discours dangereux est tout type d’expression – écrite ou visuelle – qui augmente le risque qu’un groupe en attaque violemment un autre, ou même qu’il soit tolérant à l’égard de la violence. Quand le président Trump parle du « virus chinois », ce n’est pas vraiment un discours de haine, mais c’est dangereux. Ce qu’il fait, c’est inspirer ou activer des groupes de personnes pour qu’ils se lancent dans des attaques anti-asiatiques. Nous l’avons vu avec les musulmans ou les Autochtones – nous voyons des choses qui ne sont pas haineuses, mais qui contribuent à ce que les gens soient plus tolérants vis-à-vis des actes commis contre ces groupes.

C’est pourquoi il est vraiment important de rétablir les faits, pour que ce niveau de tolérance ne change pas, ou pour qu’il n’oscille pas afin que la société accepte les attaques et la haine.

Comment savoir quels sont les plateformes, les articles de presse et les commentaires à prendre en compte?
Dans notre groupe, nous inviterons les gens à rechercher des articles et des sujets chauds par l’entremise des médias sociaux. Chaque jour, un de nos modérateurs passe en revue et analyse les articles d’actualité, et nous recherchons tout ce qui peut être considéré comme un discours dangereux ou haineux, puis nous le publions dans notre groupe et invitons les membres à aller le commenter. Ils relient leurs commentaires au fil de discussion du groupe, afin que nous puissions aller les soutenir.

Pourquoi avez-vous choisi de vous joindre à #iamhere? Est-ce qu’un moment, un commentaire ou un article particulier vous a inspiré?
Il y a quelques années, je parlais à un ami et il a commencé à parler de toutes ces déclarations anti-musulmanes, et de sa peur parce qu’il savait que dès que les musulmans recevraient cet appel de leurs chefs religieux, ils tueraient tous les blancs, y compris lui et ses voisins. Et j’étais vraiment surpris que quelqu’un que je connaissais pense cela. Et puis je me suis dit, s’il pense cela, et qu’il a pu ainsi changer d’état d’esprit, il doit y avoir d’autres Canadiens et Canadiennes qui ressentent la même chose.

J’ai commencé à faire des recherches et je suis tombé sur le mouvement #iamhere, et j’ai rejoint le groupe britannique pour voir comment ils travaillaient et ce qu’ils faisaient. Il y a beaucoup de questions qui sont très universelles, donc j’ai pu interagir avec le groupe.

Et puis l’affaire [le meurtre de] Colten Boushie est arrivée. Et cette tragédie a suscité tellement de haine dans les médias, et sur les médias sociaux, que nous avons pensé qu’il était temps de commencer quelque chose au Canada.

Quels sont les sujets qui suscitent le plus de commentaires problématiques?
Le racisme est partout; l’islamophobie, les questions touchant la communauté LGBTQ2S+ partout dans le monde, le genre, tout ce qui a trait aux femmes. Changement climatique – Greta Thunberg est très ciblée. Il y a tellement de gens de partout qui l’attaquent. Et au Canada et en Australie, tout ce qui a trait aux communautés des Premières nations est toujours très incendiaire.

Et puis récemment, avec la COVID, beaucoup de commentaires anti-asiatiques.

Dans le contexte de la COVID-19, qu’est-ce qui a changé en termes de participation ou de contenu que vous voyez en ligne dans les sections des reportages et des commentaires?
Nous avons remarqué que tout pour ce qui a trait à la COVID – et peut-être est-ce parce que les gens se sentent sursaturés – les degrés de participation ont vraiment chuté. Beaucoup de théories de conspiration dans les commentaires, beaucoup de désinformation, beaucoup de gens qui pensent soudainement qu’ils [sont experts en] virus et en soins de santé. Et, encore une fois, de nombreux commentaires contre les Asiatiques.

Quand vous dites que la participation a chuté, vous faites référence à la participation des membres de #iamhere?
Oui. Au sein du groupe, il y a moins de personnes qui veulent commenter ces publications. Au début, il y avait beaucoup de gens qui osaient se lancer avec des faits réels, et maintenant cela diminue un peu.

Les gens, je pense, sont juste fatigués. Nous avons donc essayé de contrer cela en partageant des histoires vraiment positives   des bénévoles, ou des propriétaires d’entreprises qui donnent de la nourriture à des sans-abri, ou des propriétaires qui sortent et achètent de l’épicerie pour leurs résidents âgés.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que ce mouvement ne fait que « nourrir les trolls »?
Nous avons déjà entendu cet argument. Lorsque nous interagissons en ligne, nous nous efforçons de ne pas amorcer de dialogue avec les trolls. On ne voit pas beaucoup de nos membres les contrer directement. Ce que nous faisons, c’est de publier un commentaire autonome, objectif et factuel que les gens pourront alimenter ou auquel ils pourront répondre. Lorsque nous demandons aux membres de faire un commentaire autonome, c’est pour éviter d’alimenter accidentellement le commentaire d’un troll connu ou de quelqu’un qui partage la désinformation, car le fait de le commenter l’amplifie.

De plus, vous n’avez pas toujours besoin de faire un commentaire. Vous pouvez seulement soutenir ceux que nous vous suggérons de soutenir, ou en trouver d’autres qui valent la peine d’être renforcés.

Que diriez-vous aux personnes qui se retirent des espaces en ligne parce qu’elles ont le sentiment d’être ciblées en raison de leur race, de leur appartenance ethnique, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle?
C’est vraiment difficile. La réaction la plus courante est de ne pas vouloir s’engager. Beaucoup de gens se retirent et ne lisent pas les commentaires – c’est un mécanisme d’adaptation – mais leur voix est nécessaire. Nous avons parlé de la diversité du Canada, et nous avons besoin de ces voix diverses. Nous avons besoin de ces voix pour aider à donner le ton et à faire évoluer la conversation. Et ils peuvent nous dire quand ils se sentent attaqués ou visés. Nous sommes 150 000 dans le monde, donc, quand ils ont besoin d’aide, nous pouvons faire appel à ces groupes. Ils ont juste besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls.

Pouvez-vous nous donner un exemple d’une fois où vous avez pu soutenir efficacement quelqu’un en ligne ou contrecarrer un récit incorrect ou problématique?
Les commentaires de Don Cherry, avant Noël, sont un exemple éloquent. Il y a eu beaucoup d’articles – certains soutenant ce que Don Cherry avait dit, d’autres se contentant de rapporter ses paroles. Nous voyions beaucoup de gens dire « eh bien, c’est juste lui, il est comme ça », « il a toujours été comme ça », « you people, ça pourrait être n’importe qui ». Nous avons donc pu nous immiscer dans le débat et comprendre ce que cela signifiait et pourquoi c’était problématique.

Nous essayons de montrer aux gens qu’ils ne sont pas les seuls à s’exprimer contre quelque chose de haineux. C’est l’un des moyens que nous utilisons pour créer un espace où les gens peuvent partager leurs opinions, et cela nous aide également lorsque nous faisons des commentaires, car cela encourage les autres à s’exprimer.

Comment pouvons‑nous agir comme défenseurs les uns des autres sans parler au nom de quelqu’un d’autre?
La dernière chose dont nous avons besoin, ce sont des sauveurs. Je parlais à mon partenaire, qui ne sait jamais comment aider dans ces situations. Il ne veut pas prendre part à ce mouvement et avoir l’air du blanc qui se comporte en superhéros. Je pense qu’il est utile de pouvoir rediriger les voix vers les personnes marginalisées. Si je commente quelque chose qui est anti-asiatique, il peut venir soutenir ou amplifier mon commentaire. C’est l’une des façons d’être un allié, de faire entendre les voix marginalisées et de les soutenir, sans parler en leur nom.

Beaucoup de gens trouvent actuellement qu’ils ont plus de temps libre. Voyez-vous cela comme une opportunité de vous investir davantage dans ce travail?
Je pense que nous sommes dans une période de grand redémarrage. C’est le moment de pouvoir réfléchir à ce que vous voulez faire, et à la façon dont vous vous voyez. Je pense qu’il s’agit de ralentir les gens et de leur donner une chance d’écouter leur cœur.

En ce qui concerne le temps libre, nous savons que les gens sont beaucoup plus spectateurs qu’acteurs en ce moment. Ils pourraient trouver le temps d’être plus militants, s’ils le souhaitent. J’aime à penser que nous serons un monde plus compatissant lorsque nous sortirons de cette situation.

Comment aideriez-vous quelqu’un à considérer le travail avec #iamhere comme du bénévolat, ou de l’activisme – au même titre que de s’impliquer dans sa communauté?
Nous devons insister sur le fait que le travail en ligne est du militantisme. Vous exposez des faits. Nous voyons l’influence de ce qui est dit en ligne lorsque cela se traduit dans la vie réelle. En ligne, vous exposez des faits, vous créez des perspectives sur différents sujets, qu’il s’agisse des peuples autochtones ou des réfugiés, et nous entendons ces choses se répercuter dans les épiceries. Il est très important de s’engager en ligne.

Le vol entre Boston et Toronto ne dure que deux heures, et pourtant, je n’avais jamais visité le Canada avant de devenir boursière de l’Institut pour la citoyenneté canadienne (ICC) en septembre dernier. À ce moment‑là, je n’étais pas encore consciente que cette expérience contribuerait non seulement à ma croissance professionnelle, mais également à ma croissance personnelle. En effet, j’ai intégré la perspective plus globale de l’ICC à mon travail sur l’engagement civique des jeunes aux États‑Unis.

J’ai immédiatement été attirée par la mission de l’ICC, qui consiste à « inspirer l’inclusion, favoriser les rencontres et encourager une participation active des citoyens ». Après avoir obtenu mon diplôme universitaire en 2017, j’ai fait la transition vers le monde post‑universitaire du travail à temps plein, et je croyais devoir me faire une idée claire de mon orientation dans la vie. À 23 ans, j’avais hâte de poursuivre mon apprentissage dans le cadre du programme de bourses de l’ICC. Ce programme appuie l’habilitation des jeunes jusqu’à l’âge de 30 ans. Cette période de la jeunesse où les participants entrent dans le monde professionnel est critique à l’égard de leur développement expérientiel et de leur investissement dans les premiers stades de leur carrière, car c’est alors qu’ils acquièrent l’expérience qui servira de fondement à leur passion et à leur identité. Par ailleurs, le programme de bourses de l’ICC offrait des ressources entre pairs qui m’ont mise au défi d’innover et de renforcer mes compétences en leadership.

Dans le cadre du programme de bourses, j’ai pris conscience que la différence entre le milieu universitaire et le monde professionnel n’était pas le fait que l’on n’apprenait plus, mais plutôt que l’environnement dans lequel on apprenait n’était plus le même : la salle de classe était remplacée par la collectivité. Maintenant, je mets en œuvre des idées, plutôt que de les étudier du point de vue théorique. J’intègre la citoyenneté active à mon emploi chez Generation Citizen (GC), à titre d’associée principale de programme et de boursière de FAO Schwarz.

C’est à l’intersection de l’application dans le monde réel et du renforcement de la citoyenneté que mon projet de l’ICC se situe – un véritable mariage de l’approche d’éducation civique par l’action de GC et de l’investissement du programme de bourses dans les projets communautaires dirigés par les jeunes. GC définit l’éducation civique par l’action comme « une approche axée sur les élèves grâce à laquelle les jeunes apprennent à connaître la démocratie en travaillant activement à régler les problèmes dans leur propre collectivité ».

Mon projet utilise une plateforme technologique collaborative appelée « Padlet » pour relier entre eux, à l’échelle de Boston, des élèves des écoles intermédiaires et secondaires qui participent à des projets civiques de GC. Dans chaque classe, les élèves choisissent collectivement un problème touchant leur collectivité qu’ils souhaitent travailler à régler, amorcent des recherches expérientielles et exhaustives pour cerner sa cause fondamentale, et élaborent un objectif stratégique qu’ils souhaitent réaliser à l’échelle locale. La deuxième moitié du curriculum leur permet d’acquérir les outils nécessaires pour mettre en œuvre un plan d’action visant à atteindre leur objectif stratégique. Grâce à la collaboration entre pairs dans le cadre de ce projet, les élèves développent leurs compétences en communication, en travail d’équipe, en recherche, en réalisation d’appels aux représentants élus, en rédaction d’éditoriaux et ainsi de suite. Par ailleurs, j’étudie la manière dont les élèves utilisent la technologie pour réaliser leur projet civique, et je sollicite la rétroaction d’une classe de pairs au sujet de l’incidence de cette utilisation de la technologie sur l’efficacité globale des élèves ou sur leur confiance dans leurs compétences en matière de civisme. Plus important encore, je mesure la compréhension qu’ont les élèves des coalitions, et je suis en mesure de mieux comprendre s’ils se perçoivent comme des membres d’un mouvement de jeunes qui s’investissent dans l’amélioration de leur collectivité, plutôt que comme des personnes agissant seules.

Durant les étapes cruciales du curriculum, les élèves affichent des mises à jour sur leur projet de classe et commentent le projet d’une classe de pairs. Cela permet aux élèves d’entendre des points de vue différents et améliore la qualité globale du projet. La capacité de planifier des projets en collaboration est importante, car notre planète se mondialise de plus en plus et la technologie est au cœur de notre façon de communiquer.

J’ai conçu mon projet en tenant compte des commentaires des personnes les plus touchées par le travail et de celles y participant le plus étroitement. Par exemple, j’ai travaillé individuellement avec une enseignante, afin de m’assurer que la conception et l’interface du Padlet amélioreraient sa structure de classe actuelle et sa communication actuelle avec les élèves, plutôt que de les entraver. Sans son apport, la plateforme Padlet serait moins accessible et ne répondrait peut‑être pas aux besoins de ses élèves.

Puisqu’il s’agit d’un projet pilote pour GC, je suis enthousiasmée par le fait qu’il comprend des aspects de mesure et d’évaluation. À ce titre, je déterminerai si cette technologie collaborative a permis de susciter, chez les élèves, un sens de la collectivité plus profond. Cela cadre bien avec l’accent mis par le programme de bourses de l’ICC sur l’établissement de liens entre les gens au moyen de la technologie, puisque les élèves dans notre programme acquièrent leur pleine puissance en tant que jeunes chefs de file capables de lutter contre les obstacles auxquels la collectivité est confrontée par une action civique collaborative.

Un gros merci à l’ICC d’avoir offert, aux jeunes du monde entier, une occasion aussi immersive et pertinente de collaborer les uns avec les autres dans un espace commun de curiosité. J’éprouve une immense gratitude à l’égard de mon groupe exceptionnel de boursiers pairs, avec qui j’ai pu établir des liens solides à 6 Degrés Toronto l’automne dernier. Grâce au programme de bourses de l’ICC, j’ai renforcé ma capacité en tant que jeune agente de changement, et je suis ravie de continuer à repousser les limites de la participation citoyenne et de la recherche civique à Boston.

Samantha Perlman a obtenu une bourse de l’ICC en 2018‑2019. Pour de plus amples informations sur la Bourse de recherche de l’ICC, visitez https://inclusion.ca/fr/icc-fellowship/.

Par Samantha Perlman