Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, un grand nombre de personnes passent moins de temps à socialiser et beaucoup plus de temps les yeux rivés sur leurs appareils numériques à la maison. Le fait de vérifier de façon obsessive les dernières nouvelles relatives au coronavirus a même été qualifié de « doomscrolling » (défilement pessimiste).
Mais en consommant plus d’information, les gens ne sont pas nécessairement plus au fait de ce qui se passe. Un rapport publié en 2019 dans le cadre du Digital Democracy Project, qui étudie la désinformation liée à la couverture électorale au Canada, a révélé que la consommation de grandes quantités de nouvelles par l’entremise des médias sociaux ou des sources de renseignements traditionnelles est également associée à des degrés plus élevés de désinformation. Pour être aussi efficaces et exacts que possible, les médias doivent également être de grande qualité et s’appuyer sur de solides reportages qui comprennent des points de vue représentant toute la gamme des expériences canadiennes.
Nous avons déjà discuté de l’importance de la vérification des faits et de la nécessité de prévenir les stéréotypes nuisibles lorsqu’on consomme des nouvelles. Cependant, comment les structures des médias peuvent-elles changer pour s’assurer que les reportages sont aussi exacts que possible?
Une solution consiste à commencer à s’attaquer efficacement à la question de la diversité dans les médias canadiens. En ce qui concerne la COVID-19, la diversité dans la façon dont les histoires sont recueillies et rapportées aide à s’assurer que toutes les communautés sont représentées et servies par les autorités sanitaires. Or, les médias canadiens ont encore beaucoup de chemin à faire.
À l’heure actuelle, il existe très peu de mesures récentes pour évaluer la diversité dans les médias canadiens, et de nombreux organismes de presse n’ont pas voulu communiquer leurs propres données. En 2016, Canadaland a communiqué avec 18 journaux partout au pays pour leur demander de participer à un sondage sur la diversité. Seulement trois organismes de presse ont accepté d’y participer.
Le peu d’information dont nous disposons montre que les médias canadiens sont majoritairement blancs. Une étude réalisée en 2019 par l’Université Ryerson a révélé qu’au Canada, les chroniqueurs de race blanche étaient surreprésenté·e·s dans les médias par rapport à la population du pays, et que l’écart s’était creusé au fil du temps. Une autre étude effectuée en 2004 auprès de 37 quotidiens canadiens a révélé que « les minorités raciales sont plus de cinq fois sous-représentées dans les salles de nouvelles tous les jours », et ce, dans toutes les sections.
Lutter contre la désinformation, c’est aussi permettre à des voix diverses de raconter leur histoire dans leurs propres mots. La cinéaste torontoise Sherien Barsoum est membre fondatrice du Racial Equity Media Collective (REMC), groupe chargé de défendre les créateurs de contenu médiatique des peuples noirs, autochtones et de couleur. Le REMC travaille surtout dans les secteurs du cinéma, du documentaire et de la télévision, où les personnes noires, autochtones et de couleur peuvent se heurter à des obstacles lorsqu’elles tentent de percer dans l’industrie. « Les salles de nouvelles, les salles de conférence et les bureaux de direction ne sont malheureusement pas remplis de voix diverses. Ils sont extrêmement homogènes. Et, vous savez, je pense que cela signifie que nous entendons souvent des histoires qui sont répétées et racontées à partir de quelques points de vue seulement », dit Mme Barsoum.
La diversité doit s’étendre au-delà des journalistes qui racontent les histoires, et inclure également les experts, les chercheurs et les membres de la communauté interviewés. En ce qui concerne la COVID-19, le fait de s’inspirer de diverses sources pour les reportages donnera une idée plus précise de ce qui se passe sur le terrain.
Au début de la pandémie, avant que les centres pour le contrôle et la prévention des maladies ne fassent le suivi des disparités raciales dans les taux d’infection à la COVID-19, les médecins noirs se sont inquiétés du fait que les communautés de couleur ne recevaient pas assez de tests ou les traitements nécessaires. Leurs inquiétudes se sont avérées exactes. Les données montrent maintenant que les personnes noires et hispaniques aux États-Unis sont touchées de façon disproportionnée par la COVID-19.
Les écrivain·e·s noir·e·s étaient également à l’avant-garde de ces questions. L’écrivain de Citylab, Brentin Mock, a décrit la longue histoire de croyances racistes à l’origine du mythe selon lequel les Afro-Américains étaient en quelque sorte immunisés contre la COVID-19. En avril dernier, Ibram X. Kendi, auteur ainsi que directeur du Antiracist Research & Policy Center, a écrit dans The Atlantic que plus de données démographiques sur les infections et les décès liés à la COVID-19 s’avéraient nécessaires afin de comprendre la « pandémie raciale au sein de la pandémie virale ».
Plus les salles de nouvelles sont diversifiées, moins les points de vue comme ceux-là risquent de passer entre les mailles du filet. La Canadian Association of Black Journalists et la Canadian Journalists of Colour ont recommandé d’accroître « la représentation et la couverture des communautés ethniques en embauchant plus de rédacteur·trice·s en chef et de journalistes de couleur » dans une récente liste d’appels à l’action pour accroître la diversité dans les salles de presse canadiennes. « Une équipe d’information plus diversifiée se traduit par une couverture plus diversifiée », ont déclaré les organismes.
Nous entrevoyons toutefois des signes de changement. Le virage des médias vers le numérique a, d’une certaine façon, permis à une plus grande pluralité de voix de se faire entendre grâce à une variété de méthodes, comme la possibilité pour les écrivains d’accroître leur auditoire par l’entremise de Twitter ou l’utilisation de ressources en ligne pour saisir de nouvelles occasions. Les récentes manifestations dans le monde entier entourant la violence policière à caractère raciste ont également eu un effet, forçant les publications de presse à entamer des conversations difficiles au sujet de la diversité de leur personnel et de la façon dont ils tiennent compte de la race dans leurs reportages.
« En fait, je suis vraiment optimiste », déclare Mme Barsoum, citant des progrès prometteurs dans l’opinion des médias sur la façon dont la diversité peut ajouter à leur programmation. « Ce n’est pas seulement essentiel pour que les choses s’améliorent en ce qui concerne les gens de couleur. Nous en profitons tous. C’est une expérience plus humaine du monde. »