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07.09.2017
Le livre de Samra Habib intitulé We Have Always Been Here: A Queer Muslim Memoir, nous interpelle au plus profond de nous-mêmes. La couverture est aussi flamboyante, éloquente, directe et intrigante que les mots que l’ouvrage renferme. Le public est projeté dans l’enfance personnelle de l’autrice, de l’aventure de son émigration aux expériences chaotiques, magnifiques et compliquées qui ont façonné la personne qu’elle est aujourd’hui, au fil de ce récit aux airs de journal intime.
L’histoire débute au Pakistan, alors que l’on fait la connaissance de Samra et de sa famille, de ses goûts, des agissements que ses parents récompensaient ou punissaient, de ses frustrations, de ses passions, de ses buts et de ses rêves. Samra tisse ainsi la trame de fond qui permet au lecteur·trice de plonger dans ses origines et influences pour mieux les comprendre. L’écriture, marquée d’émotions brutes et palpables plutôt que narrées et réfléchies, rappelle celle d’un journal intime.
Attention toutefois : celles et ceux qui s’attendent à un récit sur « l’immigrante parfaite » ayant échappé à son pays natal en quête d’une vie meilleure au Canada et aveuglément reconnaissante pour sa nouvelle liberté seront déçus. Bien entendu, avec le recul, Samra est reconnaissante, mais jamais elle ne dépeint le Pakistan comme un pays dont elle voulait s’échapper. En fait, elle repense à cette époque de sa vie avec beaucoup d’affection.
L’enfance de Samra au Canada est plutôt difficile, douloureuse et isolée. Elle et sa famille subissent racisme et discrimination. Samra témoigne des difficultés de sa famille à s’adapter, à trouver du travail, à payer les factures et à s’intégrer à la communauté. Elle relate les mêmes écueils que rencontrent vos parents, non seulement sur les plans financier et social, mais aussi comme cibles de cette discrimination et de ce racisme, qui laissent parfois des cicatrices profondes chez les enfants, particulièrement au cours de leur adaptation à une nouvelle langue, une nouvelle culture, un nouveau mode de vie.
En tant que personne ayant immigré au Canada dans mon enfance, je me reconnais dans l’histoire de Samra. Constater jour après jour le jugement envers l’accent de ma mère, la réaction des étrangers de notre immeuble à l’odeur de notre cuisine ou encore les regards que recevaient mes parents lorsqu’ils discutaient en persan en public m’a appris ce qui était accepté ou non dans la culture canadienne. Cela m’a poussée à éliminer mon accent, à refuser les merveilleux plats que cuisinait ma mère et à ne prononcer aucun mot de persan en présence d’anglophones. Douloureusement, j’ai intériorisé une honte de mes origines ethniques, une honte dont je tente toujours de me défaire.
Samra suit un parcours semblable. Pour éviter d’être ridiculisée, elle fait des concessions jusqu’à ce qu’en vieillissant, elle se sente assez en sécurité pour révéler des pans plus authentiques de sa personnalité, par exemple son sens absolument unique de la mode (inspiré en partie de ses racines pakistanaises). Le parcours de Samra se résume à apprendre, à désapprendre, puis à réapprendre. Dès son plus jeune âge, elle apprend ce qui est important pour sa famille, ses racines culturelles et traditions, et par la suite, elle apprend à connaître son entourage canadien. En grandissant, elle commence à ébranler ses certitudes et à les remettre en question, pour elle-même et parfois même pour les autres. Si son apprentissage est teinté de confusion et de tristesse, il entraîne aussi son lot d’effervescence et de croissance. Elle vit des amours et des ruptures si chaotiques que l’on pourrait croire que cela nuit à son développement. Parfois choquant, son récit n’en demeure pas moins extrêmement pertinent. Elle se lance dans de nouveaux modes d’expression, notamment la photographie, et consacre ses énergies et son intelligence à raconter des histoires sur cette plateforme. Elle s’interroge sur sa sexualité et l’explore, non pas uniquement selon l’angle de l’altersexualité (queer), mais aussi sur la signification de l’attachement à un autre humain, aussi bien physiquement que mentalement. Voilà ce qui constitue son « désapprentissage » : l’ouverture, la vulnérabilité, les nouvelles expériences et la remise en question des normes.
C’est à l’étape de réapprentissage que nous quittons Samra. Elle découvre les milieux et communautés altersexuels de Toronto et trouve le moyen d’aborder le sujet avec sa famille. Elle trouve réconfort, amitié et surtout, inspiration auprès d’autres personnes altersexuelles sud-asiatiques et musulmanes. Non seulement ces nouvelles découvertes lui apportent un sentiment d’appartenance et d’utilité, mais elles attisent d’autant son désir de visibilité : elle souhaite que ces histoires soient racontées, entendues et immortalisées en textes, en photographies, en vidéos, en musique, etc.
L’ouvrage We Have Always Been Here rend tangible ce que vivent – peut-être pas tous les immigrant·e·s – mais du moins celles et ceux qui s’approprient le texte et s’y reconnaissent. En tant qu’immigrante de première génération, certaines parties du livre m’ont presque arraché un cri : j’aurais voulu crier les mots de Samra sur tous les toits, raconter son histoire à d’autres personnes… parce que c’était aussi mon histoire. Elle met des mots sur mes sentiments complexes et mes expériences chaotiques. Samra connaît ce douloureux parcours qui consiste à apprendre, désapprendre puis réapprendre; elle a choisi de nous le partager. Cela dit, son histoire n’est pas celle de tout le monde. Elle constitue simplement une trame de fond empreinte d’une volonté d’appartenance à une communauté, un appel à lire ce mémoire et à s’y identifier. We Have Always Been Here est la preuve qu’une expérience de vie, une histoire n’est parfaite que si elle est manipulée, contrôlée ou diluée; dans le pire des cas, elle n’existe tout simplement pas. Cette histoire, c’est la réalité de l’existence, des liens humains, bref, le fait de vivre ne serait-ce qu’un peu mieux avec soi-même.
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