Les arts et la culture traversent une période difficile. Le volume des annulations et des fermetures a amené de nombreuses organisations, d’une part, à réagir rapidement aux changements soudains et, d’autre part, à se demander sérieusement à quoi ressemble leur avenir. Les défis sont permanents, car les musées, les galeries, les festivals et les théâtres sont confrontés chaque jour à des décisions difficiles. Dans cette optique, c’est la deuxième question à laquelle nous souhaitons consacrer cette édition du bulletin, autant en guise de baume contre toute cette détresse, et aussi pour faire le point sur ce qui nous attend.
Sans détourner l’attention des défis plus immédiats, nous devons nous demander quelles seront les implications à long terme de ces ajustements et, dans certains cas, de ces changements spectaculaires. Cette crise va-t-elle transformer le secteur des arts et de la culture?
Nous avons demandé à différents dirigeants du secteur des arts et de la culture de nous faire part de leurs réflexions sur ce qu’ils considèrent comme des pistes possibles pour l’avenir. Leurs réponses offrent une diversité de perspectives et indiquent différentes possibilités d’action. Voici ce qu’ils ont à dire.
Il est trop tôt pour dire exactement ce que cette pandémie aura laissé dans son sillage. Nous sommes peut-être à l’aube d’un changement de paradigme dans le mode de fonctionnement des musées.
Pendant la pandémie, nous avons vu certains musées pivoter rapidement, offrant des ressources virtuellement accessibles. Ces contributions renforcent la valeur des musées et le rôle essentiel qu’ils peuvent et doivent jouer dans la société.
Cela étant dit, les musées risquent de ne pas pouvoir jouer leur rôle si indispensable. Plusieurs ont fermé leurs portes, des expositions ont été annulées, les collections ne bénéficient pas du soin constant qui leur est normalement accordé et bon nombre de travailleurs ont été licencié·e·s. Nous nous inquiétons également pour les plus touchés, les nombreux petits musées.
Nous apprécions les efforts de secours du gouvernement, mais ils ne sont pas suffisants pour assurer la viabilité du secteur. Nous plaidons donc en faveur d’un fonds de secours dédié aux musées pour soutenir les pertes de revenus et d’un fonds de développement d’urgence pour les activités numériques. Nous continuons également d’exercer de la pression pour actualiser la politique nationale des musées, vieille de 30 ans. Si le financement se situait à des niveaux raisonnables et si la politique était modernisée, les musées pourraient ostensiblement être mieux armés pour faire face à la situation.
Il ne fait aucun doute que le secteur des musées devra s’adapter à une nouvelle réalité. Je garde l’espoir qu’avec un soutien adéquat et des politiques modernisées, l’avenir de notre secteur est prometteur.
En ce moment, beaucoup d’entre nous sont en mode de réponse rapide. Mais, pour ceux d’entre nous qui ont un peu de capacité, j’espère que nous aurons le temps de rêver à l’avenir. Voici un article que j’ai écrit sur la façon de ralentir, de faire le point et de réimaginer mon rôle dans la construction d’un avenir plus équitable.
La question que je me pose est la suivante : comment voulons-nous nous transformer à long terme à cause de cette crise? Quels nouveaux avenirs voulons-nous créer? Si nous reconnaissons que le « normal » n’est pas totalement équitable, comment pouvons-nous changer cela?
À cause de ces questions, je passe beaucoup de temps à visualiser. Pour les organisations culturelles en particulier, je pense qu’il est important de réfléchir à la façon dont nous prévoyons notre réouverture et aux partenaires que nous voulons pour y parvenir.
Si vous avez cinq minutes, je vous invite à écrire un texte en imaginant ce jour lumineux et comment le monde pourrait être différent. Cela pourrait vous aider à déterminer ce que vous souhaitez le plus faire ensuite.
La COVID-19 oblige l’industrie de la musique dans son ensemble à prendre du recul et à réévaluer la façon dont les musiciens et le public interagissent entre eux.
Une grande partie des revenus de la musique est construite autour de grands rassemblements d’humains dans des espaces confinés. Et les professionnels de la médecine et de l’industrie musicale sont d’avis que nous ne pourrons probablement pas refaire cela avant un certain temps.
C’est peut-être ici que le changement devrait s’opérer, et à ce chapitre, nous avons tous·tes un rôle à jouer.
Au cours des dernières années, l’industrie de la musique s’est efforcée de trouver des moyens de rester pertinente. Les maisons de disques devenaient des sociétés de gestion d’artistes et les grands promoteurs de concerts possédaient toutes les radios commerciales. Maintenant que nous sommes en confinement, nous voyons encore combien la musique reste pertinente alors que les régulateurs « gatekeepers » à qui profitent l’art deviennent de moins en moins pertinents.
En tant que consommateur·trice·s de musique, nous avons le pouvoir d’engager et de soutenir nos artistes préférés directement par le biais de portails numériques créés par et pour les artistes. Nous avons le pouvoir collectif de soutenir localement et d’aider les artistes émergent·e·s et à mi-carrière à s’épanouir tant sur le plan financier que créatif.
Et les artistes doivent non seulement s’adapter à la technologie, mais aussi étendre les contraintes de ces plateformes par une pensée créative et peu orthodoxe. Les musiciens doivent devenir des créatifs complets, capables non seulement d’écrire et d’interpréter des chansons, mais aussi d’offrir des visuels accrocheurs et des expériences théâtrales fondées sur des méthodes et un esthétique pluridisciplinaire.
Le retour à l’autonomisation directe des communautés artistiques locales de base est une étape tangible vers une économie artistique équitable et inclusive.
La COVID-19 a déjà beaucoup transformé le secteur des arts et de la culture. De la crainte des licenciements aux réductions budgétaires prévues dans un avenir proche, le secteur des arts et de la culture est confronté à une grande incertitude.
Toutefois, de cette incertitude naîtront des possibilités.
Ce qui est devenu évident dans la crise de la COVID-19, c’est l’importance du contact humain dans un contexte qui limite nécessairement notre capacité à nous connecter en personne. Dans ce contexte, le secteur des arts et de la culture peut jouer un rôle clé dans la création et le maintien de liens humains.
En tant que tel, la COVID-19 peut en effet servir de catalyseur pour un engagement revigoré de la part des institutions culturelles afin d’encourager l’empathie, la compréhension et la connexion, et ce de façon innovante. Par exemple, encourager les institutions à expérimenter de nouveaux moyens à distance de se connecter et de partager des histoires n’est qu’une des façons dont l’axe de notre travail a déjà changé; à mesure que cette crise prend de l’ampleur, elle peut aussi engendrer des innovations en matière de prestation et de communication pour l’ensemble du secteur.
Les nouveaux formats de distribution et de communication visant à favoriser les liens humains peuvent également nécessiter d’autres changements au sein du secteur, au-delà de l’immédiat. Par exemple, il peut être nécessaire de mettre davantage l’accent sur l’engagement numérique et de retenir les spécialistes dans le domaine de la conception et de la diffusion en ligne. En outre, la compréhension des obstacles à l’accès auxquels beaucoup sont confrontés dans un monde numérique révèle une profonde inégalité structurelle et exigera certainement des institutions et des professionnel·le·s qu’ils trouvent des moyens innovants pour renforcer l’inclusion et la participation.
Nous sommes unanimes pour considérer cette période de COVID terrible pour l’humanité. Elle met des vies en danger, fragilise les plus démunis, créé une angoisse collective majeure notamment dans le secteur des arts qui perd tous ses repères. Cette période est violente à bien des égards, mais elle pourrait être le terreau d’une transformation profonde : remettre le sens au centre de nos existences et de nos organisations.
Le psychiatre Viktor Frankl, en sortant des camps en 1946, a écrit sur l’importance du sens comme véritable lieu de résilience. Selon lui la question n’était pas : qu’est-ce que j’ai à attendre de la vie, mais plutôt qu’est-ce que la vie attend de moi? Prendre en considération ce qu’on peut donner plutôt que ce qu’on ne reçoit pas, pour donner un sens. Reporté à une organisation culturelle, cela nous aide à nous poser les bonnes questions :
Que veut-on cultiver ?
De quoi et de qui voulons-nous prendre soin individuellement et collectivement ?
Pourquoi fait-on de l’art vivant? Pourquoi ? Pourquoi ?
Où est notre pouvoir ? Quelle est notre responsabilité ?
Où sont les besoins ?
Qu’est-ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour aider?
Utilisons notre créativité et l’intelligence collective des équipes pour répondre à ces questions. Voyons les contraintes comme un moteur d’inventivité. Laissons de côté le passé et le futur qui sont sources d’anxiété. Concentrons-nous sur comment honorer le vivant maintenant. Certainement est-ce la meilleure position à adopter pour renforcer un lien de confiance avec nos communautés et s’inscrire dans un nouveau système.
L’un des principaux défis auxquels les musées seront confrontés après la COVID-19 est de trouver un équilibre entre le besoin pressant de collecter et de préserver les témoignages de ceux qui ont été les plus touchés pendant la pandémie, avec l’obligation d’adhérer à des principes éthiques solides tels que la minimisation du préjudice et le respect pour la dignité humaine.
Bon nombre de ces communautés, qui ont été historiquement exclues ou représentées de manière inexacte dans bon nombre de nos musées, ont été touchées de manière disproportionnée par la COVID-19. Les musées ont la responsabilité de veiller à ce que les histoires des personnes sous-représentées ne soient pas perdues, négligées, exploitées ou remplacées en ne montrant que les récits héroïques.
Je crois et j’espère qu’après la COVID-19, les musées seront poussés à être plus réflexifs et à travailler de manière plus éthique lors de la recherche, de la collecte, de l’archivage, de l’interprétation et de l’exposition des histoires de communautés historiquement marginalisées.
Il est de notre responsabilité, en tant que professionnels des musées, d’amener ces discussions dans la sphère publique afin que le secteur des musées puisse émerger plus fort et en solidarité avec les communautés que nous essayons de servir.
La communauté créative mondiale a joué un rôle de leader remarquable dans l’organisation, l’adaptation et la réponse à l’urgence sanitaire. Cette réaction opportune et proactive a permis d’accroître la visibilité du secteur et de le faire reconnaître comme un élément fondamental et nécessaire de la vie contemporaine. Je suis convaincu que cette reconnaissance contribuera à renforcer les budgets publics pour le secteur et conduira à durabilité accrue pour la communauté.
Un grand nombre d’activités culturelles ont été virtuellement reprogrammées à l’aide des technologies numériques, multipliant immédiatement leur public et leur portée mondiale. Ces efforts créatifs ont contribué à atténuer le stress psychologique de millions de personnes qui se trouvent isolées, empêchant ainsi la propagation du virus.
Cette présence renouvelée des biens et services culturels enrichit la diversité culturelle dans le paysage numérique. Plus important encore, elle nous rappelle que de l’autre côté de la pandémie, la culture et l’art nous attendent dans un espace physique; un lieu où les désirs, les illusions et les rêves de l’humanité coïncident à l’échelle mondiale. Le jour où nous assisterons à notre premier concert après ces temps difficiles, nous le vivrons comme si c’était notre première fois. Nous n’oublierons plus jamais la valeur de la culture.
*Ces réponses ont été modifiées pour de raisons de clarté et de longueur
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