La pandémie de COVID-19 nous a contraints à adopter un nouveau glossaire terminologique qui n’était pas connu de tous. Les masques N95, l’intubation et le R0 (nombre utilisé pour décrire le taux de propagation d’une maladie) font maintenant partie du discours populaire, mais certains termes demeurent ambigus pour plusieurs — comme la différence précise entre « auto-isolement » et « quarantaine ». Tout ce nouveau vocabulaire peut engendrer de l’incertitude et de la désinformation à un moment où un langage clair est primordial.
Pour compliquer encore plus les choses, le virus est connu sous diverses appellations, dont « coronavirus » (catégorie générale à laquelle le virus appartient), « COVID-19 » (nom de la maladie causée par le virus), et « SRAS-CoV-2 » (nom de la souche virale actuelle).
Les experts affirment que lorsqu’une confusion linguistique accompagne l’anxiété quotidienne causée par une pandémie mondiale, un environnement où la mésinformation se prolifère est apte à se développer. Cela peut être une menace pour la santé publique pour plusieurs raisons, incluant le potentiel de discrimination et de racisme.
Par exemple, des termes comme « virus de Wuhan » ou « virus chinois », repris par les médias de droite et employés jusqu’à tout récemment par le président des États-Unis, Donald Trump, alimentent un racisme antichinois et anti-asiatique déjà répandu dans le cadre de cette pandémie.
En février dernier, la Asian American Journalists Association (Association des journalistes américains d’origine asiatique) publiait la recommandation suivante : « Nous exhortons les journalistes à se montrer prudents dans leur couverture de l’éclosion de la maladie à coronavirus en Chine afin d’assurer une représentation juste et exacte des Asiatiques et des Américains d’origine asiatique, afin d’éviter d’alimenter la xénophobie et le racisme. » Les lignes directrices de l’association conseillaient de ne pas utiliser de photos montrant des personnes asiatiques portant des masques ou des images génériques de quartiers chinois pour illustrer des articles sans également fournir un contexte adéquat, puisqu’une telle utilisation serait apte à stigmatiser davantage ces communautés. L’association mettait également les journalistes en garde contre l’emploi de termes tels que « coronavirus chinois » et « virus de Wuhan », un vocable qui laisse entendre un lien entre le virus et un lieu géographique — une supposition qui est à la fois dommageable et inexacte, selon les experts.
« Ce terme obscurcit plus qu’il ne clarifie », dit Gregory Trevors, qui étudie la mésinformation et est professeur adjoint en psychologie de l’éducation à la University of South Carolina. « La plupart des cas du virus sont situés à l’extérieur de Wuhan, et le virus n’a rien d’intrinsèquement “chinois” », explique-t-il. « Ce n’est donc pas un terme utile. »
Il existe plusieurs exemples passés de noms qui stigmatisaient certaines communautés et favorisaient la circulation de fausses informations sur l’origine et la transmission de maladies. Une éclosion de hantavirus, identifiée après la mort d’un homme navajo en 1993, fut connue par la suite sous le nom de « maladie navajo »; l’Ebola, un virus nommé d’après une rivière située près de la région où il fut découvert, a engendré d’innombrables incidents racistes contre les Ouest-Africains en 2014; et la maladie que nous appelons maintenant le SIDA fut à une époque appelée GRID, un acronyme qui signifie « Gay-related immunodeficiency » (« immunodéficience liée à l’homosexualité »). De tels noms risquent d’entraîner des mesures politiques moins efficaces, d’alimenter les attaques xénophobes et la discrimination, et de contribuer à une mésinformation publique généralisée.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dispose de directives pour nommer les nouveaux virus depuis au moins 2015. Elle recommande de ne pas utiliser de lieux géographiques ni d’autres facteurs susceptibles d’induire en erreur ou qui pourraient encourager toute discrimination. Le processus formel d’appellation de maladies peut toutefois être difficile, et lorsque certains noms entrent dans le langage populaire, il est difficile de les changer.
Selon Trevors, cette tendance à accepter des informations stigmatisantes provenant de sources douteuses est liée à nos émotions et au processus décisionnel lorsque l’on se retrouve dans une situation incertaine. « Face à la peur et à l’anxiété, nous recherchons la certitude. Nous n’aimons pas cet état d’incertitude, » dit-il. « Nous essayons de trouver ce qui nous procurera un sentiment de sécurité.
« Sans une certaine connaissance de la théorie germinale des maladies infectieuses, on peut être porté à s’accrocher aux informations qui nous donnent un sentiment de contrôle, et à se dire que ce savoir nous protégera. »
Un rapport récent de l’OMS fait écho à cette théorie, liant la stigmatisation rattachée à la maladie à coronavirus à trois facteurs : les caractéristiques nouvelles et inconnues de la maladie, notre peur de l’inconnu, et la tendance à « associer cette peur à un “autre” ».
Malheureusement, cette manière de penser tend à produire des conclusions dangereuses et inexactes, et nous éloigne des efforts coopératifs mondiaux et communautaires qui sont essentiels dans un contexte de crise.
« Cela est dommageable, mine la coopération et mine l’idée que nous avons tous un objectif et des intérêts partagés dans cette situation, » dit Trevors. « Chaque fois que nous employons un langage qui sème la discorde, notre capacité à répondre de manière efficace est compromise. »
Tandis que le vocabulaire lié à la maladie à coronavirus continue de changer, un mouvement concerté vers une terminologie précise, compatissante, et qui résiste à la mésinterprétation peut avoir un impact profond. Lors d’une conférence de presse le 20 mars dernier, Maria Van Kerkhove, une épidémiologiste travaillant pour l’OMS, a expliqué pourquoi l’organisation utiliserait dorénavant le terme « distanciation physique » plutôt que « distanciation sociale ».
« La distanciation sociale entre personnes afin de prévenir la transmission du virus est absolument essentielle. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il faut se déconnecter de nos proches et de notre famille », a-t-elle déclaré. En temps de crise, la cohésion sociale et le soutien social sont essentiels pour promouvoir la santé publique.
Par Sejla Rizvic