Entrevue : Alena Helgeson nous parle du mouvement #iamhere, de rétablir les faits et de créer un monde plus compatissant

15.04.2020

En ces temps difficiles, les communautés se rassemblent pour soutenir leurs membres les plus vulnérables. Malheureusement, certaines communautés deviennent la cible d’attaques haineuses en ligne comme ailleurs.

Nous avons parlé avec Alena Helgeson, fondatrice de #iamhereCanada, de ses efforts pour combattre les informations haineuses, fausses et trompeuses grâce au rétablissement des faits, avons discuté de pandémie de la COVID-19 et de l’impact du contenu numérique sur le monde physique.

Pouvez-vous décrire ce qu’est ce mouvement et pourquoi des groupes en ligne comme #iamhere sont importants?
Rétablir les faits, c’est essentiellement aller sur les plateformes ou dans les sections de commentaires des médias sociaux, et créer un message alternatif. Nous voyons une minorité bruyante qui essaie de perpétuer un message particulier qui n’est pas vrai – désinformation, ou beaucoup de racisme subtil (ou pas si subtil) – donc il est très important de pouvoir rétablir les faits. La majorité silencieuse peut voir [ce message] et peut commencer à équilibrer ce qui pourrait être vrai et ce qui pourrait ne pas l’être. De plus, le rétablissement des faits permet de créer un espace pour que les personnes qui pourraient se sentir réduites au silence ou marginalisées aient cet espace pour partager leurs pensées et leurs points de vue.

J’ai parlé du projet Dangerous Speech de Harvard – ils se concentrent vraiment sur ce qu’est un discours dangereux. Le discours de haine est très subjectif. Ce qui peut être considéré comme un discours de haine pour une personne peut ne pas l’être pour une autre personne.

Le Discours dangereux est tout type d’expression – écrite ou visuelle – qui augmente le risque qu’un groupe en attaque violemment un autre, ou même qu’il soit tolérant à l’égard de la violence. Quand le président Trump parle du « virus chinois », ce n’est pas vraiment un discours de haine, mais c’est dangereux. Ce qu’il fait, c’est inspirer ou activer des groupes de personnes pour qu’ils se lancent dans des attaques anti-asiatiques. Nous l’avons vu avec les musulmans ou les Autochtones – nous voyons des choses qui ne sont pas haineuses, mais qui contribuent à ce que les gens soient plus tolérants vis-à-vis des actes commis contre ces groupes.

C’est pourquoi il est vraiment important de rétablir les faits, pour que ce niveau de tolérance ne change pas, ou pour qu’il n’oscille pas afin que la société accepte les attaques et la haine.

Comment savoir quels sont les plateformes, les articles de presse et les commentaires à prendre en compte?
Dans notre groupe, nous inviterons les gens à rechercher des articles et des sujets chauds par l’entremise des médias sociaux. Chaque jour, un de nos modérateurs passe en revue et analyse les articles d’actualité, et nous recherchons tout ce qui peut être considéré comme un discours dangereux ou haineux, puis nous le publions dans notre groupe et invitons les membres à aller le commenter. Ils relient leurs commentaires au fil de discussion du groupe, afin que nous puissions aller les soutenir.

Pourquoi avez-vous choisi de vous joindre à #iamhere? Est-ce qu’un moment, un commentaire ou un article particulier vous a inspiré?
Il y a quelques années, je parlais à un ami et il a commencé à parler de toutes ces déclarations anti-musulmanes, et de sa peur parce qu’il savait que dès que les musulmans recevraient cet appel de leurs chefs religieux, ils tueraient tous les blancs, y compris lui et ses voisins. Et j’étais vraiment surpris que quelqu’un que je connaissais pense cela. Et puis je me suis dit, s’il pense cela, et qu’il a pu ainsi changer d’état d’esprit, il doit y avoir d’autres Canadiens et Canadiennes qui ressentent la même chose.

J’ai commencé à faire des recherches et je suis tombé sur le mouvement #iamhere, et j’ai rejoint le groupe britannique pour voir comment ils travaillaient et ce qu’ils faisaient. Il y a beaucoup de questions qui sont très universelles, donc j’ai pu interagir avec le groupe.

Et puis l’affaire [le meurtre de] Colten Boushie est arrivée. Et cette tragédie a suscité tellement de haine dans les médias, et sur les médias sociaux, que nous avons pensé qu’il était temps de commencer quelque chose au Canada.

Quels sont les sujets qui suscitent le plus de commentaires problématiques?
Le racisme est partout; l’islamophobie, les questions touchant la communauté LGBTQ2S+ partout dans le monde, le genre, tout ce qui a trait aux femmes. Changement climatique – Greta Thunberg est très ciblée. Il y a tellement de gens de partout qui l’attaquent. Et au Canada et en Australie, tout ce qui a trait aux communautés des Premières nations est toujours très incendiaire.

Et puis récemment, avec la COVID, beaucoup de commentaires anti-asiatiques.

Dans le contexte de la COVID-19, qu’est-ce qui a changé en termes de participation ou de contenu que vous voyez en ligne dans les sections des reportages et des commentaires?
Nous avons remarqué que tout pour ce qui a trait à la COVID – et peut-être est-ce parce que les gens se sentent sursaturés – les degrés de participation ont vraiment chuté. Beaucoup de théories de conspiration dans les commentaires, beaucoup de désinformation, beaucoup de gens qui pensent soudainement qu’ils [sont experts en] virus et en soins de santé. Et, encore une fois, de nombreux commentaires contre les Asiatiques.

Quand vous dites que la participation a chuté, vous faites référence à la participation des membres de #iamhere?
Oui. Au sein du groupe, il y a moins de personnes qui veulent commenter ces publications. Au début, il y avait beaucoup de gens qui osaient se lancer avec des faits réels, et maintenant cela diminue un peu.

Les gens, je pense, sont juste fatigués. Nous avons donc essayé de contrer cela en partageant des histoires vraiment positives   des bénévoles, ou des propriétaires d’entreprises qui donnent de la nourriture à des sans-abri, ou des propriétaires qui sortent et achètent de l’épicerie pour leurs résidents âgés.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que ce mouvement ne fait que « nourrir les trolls »?
Nous avons déjà entendu cet argument. Lorsque nous interagissons en ligne, nous nous efforçons de ne pas amorcer de dialogue avec les trolls. On ne voit pas beaucoup de nos membres les contrer directement. Ce que nous faisons, c’est de publier un commentaire autonome, objectif et factuel que les gens pourront alimenter ou auquel ils pourront répondre. Lorsque nous demandons aux membres de faire un commentaire autonome, c’est pour éviter d’alimenter accidentellement le commentaire d’un troll connu ou de quelqu’un qui partage la désinformation, car le fait de le commenter l’amplifie.

De plus, vous n’avez pas toujours besoin de faire un commentaire. Vous pouvez seulement soutenir ceux que nous vous suggérons de soutenir, ou en trouver d’autres qui valent la peine d’être renforcés.

Que diriez-vous aux personnes qui se retirent des espaces en ligne parce qu’elles ont le sentiment d’être ciblées en raison de leur race, de leur appartenance ethnique, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle?
C’est vraiment difficile. La réaction la plus courante est de ne pas vouloir s’engager. Beaucoup de gens se retirent et ne lisent pas les commentaires – c’est un mécanisme d’adaptation – mais leur voix est nécessaire. Nous avons parlé de la diversité du Canada, et nous avons besoin de ces voix diverses. Nous avons besoin de ces voix pour aider à donner le ton et à faire évoluer la conversation. Et ils peuvent nous dire quand ils se sentent attaqués ou visés. Nous sommes 150 000 dans le monde, donc, quand ils ont besoin d’aide, nous pouvons faire appel à ces groupes. Ils ont juste besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls.

Pouvez-vous nous donner un exemple d’une fois où vous avez pu soutenir efficacement quelqu’un en ligne ou contrecarrer un récit incorrect ou problématique?
Les commentaires de Don Cherry, avant Noël, sont un exemple éloquent. Il y a eu beaucoup d’articles – certains soutenant ce que Don Cherry avait dit, d’autres se contentant de rapporter ses paroles. Nous voyions beaucoup de gens dire « eh bien, c’est juste lui, il est comme ça », « il a toujours été comme ça », « you people, ça pourrait être n’importe qui ». Nous avons donc pu nous immiscer dans le débat et comprendre ce que cela signifiait et pourquoi c’était problématique.

Nous essayons de montrer aux gens qu’ils ne sont pas les seuls à s’exprimer contre quelque chose de haineux. C’est l’un des moyens que nous utilisons pour créer un espace où les gens peuvent partager leurs opinions, et cela nous aide également lorsque nous faisons des commentaires, car cela encourage les autres à s’exprimer.

Comment pouvons‑nous agir comme défenseurs les uns des autres sans parler au nom de quelqu’un d’autre?
La dernière chose dont nous avons besoin, ce sont des sauveurs. Je parlais à mon partenaire, qui ne sait jamais comment aider dans ces situations. Il ne veut pas prendre part à ce mouvement et avoir l’air du blanc qui se comporte en superhéros. Je pense qu’il est utile de pouvoir rediriger les voix vers les personnes marginalisées. Si je commente quelque chose qui est anti-asiatique, il peut venir soutenir ou amplifier mon commentaire. C’est l’une des façons d’être un allié, de faire entendre les voix marginalisées et de les soutenir, sans parler en leur nom.

Beaucoup de gens trouvent actuellement qu’ils ont plus de temps libre. Voyez-vous cela comme une opportunité de vous investir davantage dans ce travail?
Je pense que nous sommes dans une période de grand redémarrage. C’est le moment de pouvoir réfléchir à ce que vous voulez faire, et à la façon dont vous vous voyez. Je pense qu’il s’agit de ralentir les gens et de leur donner une chance d’écouter leur cœur.

En ce qui concerne le temps libre, nous savons que les gens sont beaucoup plus spectateurs qu’acteurs en ce moment. Ils pourraient trouver le temps d’être plus militants, s’ils le souhaitent. J’aime à penser que nous serons un monde plus compatissant lorsque nous sortirons de cette situation.

Comment aideriez-vous quelqu’un à considérer le travail avec #iamhere comme du bénévolat, ou de l’activisme – au même titre que de s’impliquer dans sa communauté?
Nous devons insister sur le fait que le travail en ligne est du militantisme. Vous exposez des faits. Nous voyons l’influence de ce qui est dit en ligne lorsque cela se traduit dans la vie réelle. En ligne, vous exposez des faits, vous créez des perspectives sur différents sujets, qu’il s’agisse des peuples autochtones ou des réfugiés, et nous entendons ces choses se répercuter dans les épiceries. Il est très important de s’engager en ligne.

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