Comme nous l’avons mentionné plus tôt, depuis le début de la pandémie des personnes d’ascendance asiatique sont la cible de harcèlement et de discrimination en lien avec la COVID-19. Toutefois, cette maladie met également en relief des préjugés qui perdurent contre d’autres groupes, comme les communautés juives et musulmanes, qui ont signalé une hausse des cas de harcèlement, de mauvais traitement, et de désinformation à leur égard durant les derniers mois.
À Montréal, des communautés juives hassidiques dénoncent le fait d’être injustement surveillées après que plusieurs personnes aient fait de fausses déclarations à la police affirmant que des membres de la communauté se rassemblaient dans des synagogues et d’autres espaces intérieurs. Lors d’une récente manifestation anti-confinement à Columbus, en Ohio, un manifestant tenait une pancarte antisémite disant « The real plague » (« La véritable plaie ») au-dessus d’une image d’un rat marqué d’une étoile de David. En France, un candidat du parti d’extrême droite Rassemblement National s’est vu retirer son investiture après avoir « aimé » une vidéo partagée sur le site Web de réseautage social VK qui mettait de l’avant une théorie du complot antisémite en lien avec la COVID-19.
Les Nations Unies ont noté une « hausse inquiétante » de discours haineux antisémites depuis le début de la pandémie de COVID-19. « Il est impératif que les organisations de société civile et les intervenants religieux signalent qu’elles ont une politique de tolérance zéro pour l’antisémitisme en ligne et hors ligne », a déclaré Ahmed Shaheed, rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction.
Les incidents islamophobes sont également en hausse, incluant en Inde, où « Corona Jihad » était un terme tendance sur Twitter quelques semaines après que des émeutes à caractère religieux aient coûté la vie à 53 personnes. Au Royaume-Uni, des membres de l’extrême droite ont partagé des photos fausses et trompeuses de personnes musulmanes qu’ils accusaient d’enfreindre les règlements de distanciation physique. Finalement, à Thunder Bay, en Ontario, le mari et le fils d’une docteur traitant des patients atteints de la COVID-19 furent la cible d’attaques verbales dans une épicerie.
« Tandis que des musulmans canadiens meurent de la COVID-19, il faut maintenant se soucier du fait que la communauté entière risque d’être châtiée si un seul musulman enfreint les règles d’isolement », a écrit Mustafa Farooq, directeur général du Conseil national des musulmans canadiens, dans un éditorial récent du Edmonton Journal.
Face à cette hostilité croissante, plusieurs communautés se voient également contraintes de changer certaines de leurs pratiques religieuses dans le cadre des mesures de confinement en vigueur.
Pour la pâque juive en avril dernier, plusieurs familles ont fait leurs repas traditionnels du seder par l’entremise d’applications de vidéoconférence au lieu de se rassembler autour d’une table.
Certains fidèles ont adapté des éléments du seder afin de refléter l’époque actuelle, décidant entre autres de compléter le lavage de mains rituel — souvent fait de manière symbolique — en reconnaissance des directives en vigueur en matière de santé publique. D’autres aspects de cette pâque avaient également une résonance inhabituelle; le fait de se rassembler pour commémorer les dix plaies ayant mené à l’Exode juif d’Égypte alors qu’une tout autre « plaie » menace la population avait un sens particulier cette année.
Maintenant, en plein ramadan, les musulmans tentent de composer avec les nouvelles restrictions qui affectent leurs jeûnes quotidiens et les festivités de l’Aïd.
« L’islam est une religion très communautaire, et ramadan est en quelque sorte l’apogée de cet esprit communautaire », dit Safiah Chowdhury, une musulmane torontoise de 31 ans très active dans sa communauté confessionnelle. « Les règlements de distanciation physique et la fermeture de nos mosquées dans le contexte actuel font obstacle à l’esprit de communauté qui est si présent lors de ramadan. Ça a un effet majeur », dit-elle.
Ces difficultés arrivent à un moment où certains ont le plus besoin de fêtes comme le ramadan. Des études démontrent que le fait d’avoir une pratique religieuse peut augmenter le bonheur en général. En 2010, un sondage Gallup mené auprès de plus de 675 000 Américains a révélé que les personnes qui s’identifiaient comme étant très religieuses (environ 41 pour cent de la population) avaient des taux plus élevés de santé affective, de comportements sains, et de bien-être général. Toutefois, la pandémie de COVID-19 et les fermetures qu’elle a entraînées font en sorte qu’il est de plus en plus difficile pour des individus de se tourner vers leurs communautés religieuses pour du soutien.
« Les rassemblements numériques, c’est bien, mais ça ne remplace en rien le sentiment d’être parmi des centaines de membres de la communauté parés de leurs plus beaux atours pour l’Aïd », dit Chowdhury. Elle ajoute que plusieurs des alternatives numériques actuelles — comme la célébration de l’iftar (la rupture du jeûne quotidien) par vidéoconférence, et l’accès à une programmation religieuse en ligne — ont eu un impact positif. « Rien de tout cela ne remplace les vraies prières, mais cela permet tout de même un grand partage de connaissances et de réflexions », dit-elle.
Malgré les mesures de distanciation physique, certaines villes se sont engagées à accommoder les fêtes religieuses de manières inusitées. Pour la première fois, la ville de Toronto permet aux mosquées locales de diffuser l’appel à la prière musulmane. En temps normal, tout son amplifié est interdit par le code municipal, mais des représentants de la ville se sont mis d’accord pour permettre une exception, reconnaissant les difficultés auxquelles les musulmans de la ville font face dans le contexte de la pandémie. « Le bien-être spirituel, affectif et mental est important durant cette période difficile », a déclaré Tammy Robinson, une porte-parole de la ville, à la CBC.
Tout comme les applaudissements quotidiens à 19:30 en soutien aux professionnels de la santé, l’appel à la prière de Toronto se veut un signe de solidarité communautaire avec les musulmans isolés à la maison et séparés de leurs familles et de leurs amis. Pour sa part, Chowdhury dit que ce genre de mesure est source de réconfort dans des circonstances autrement difficiles. « Si vous êtes situé à proximité et que vous pouvez l’entendre, ça crée un sentiment d’apaisement et de réaffirmation », dit-elle. « C’est l’une des belles choses qui est ressortie de ce ramadan en isolement. »