Dans un sondage récent mené par l’ICC et Léger, les répondants ont dû répondre à la question suivante : « Si on compare à la période précédant la COVID-19, vous sentez-vous plus ou moins liés à votre famille, à vos amis, à vos collègues, à vos voisins, à votre communauté, à votre ville, à votre province, à votre pays? » Les réponses ont été mitigées. Dans l’ensemble, 29 % des Canadiens ont déclaré qu’ils se sentaient plus proches de leur famille, mais également moins proches de leurs ami·e·s et de leur communauté au sens large depuis le début de la COVID-19.
Ces résultats ont du sens, car un plus grand nombre de personnes restent à l’intérieur, passent plus de temps avec leur famille, et interagissent moins avec l’extérieur. Mais ils semblent également suggérer que la pandémie de COVID-19 a affaibli les liens sociaux qui unissent les Canadiens entre eux·elles, ce qui pourrait laisser des traces à long terme non seulement sur les individus, mais sur la société dans son ensemble.
Dans son livre Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, le politologue Robert D. Putnam, de Harvard, emploie le terme « capital social » pour décrire le processus par lequel des réseaux de personnes travaillent ensemble pour atteindre des objectifs communs ou poursuivre des intérêts communs. Putnam soutient que notre capacité et notre volonté de nous rassembler en groupes peuvent avoir un effet sur des choses comme l’engagement civique et la participation démocratique. Se rassembler est un moyen de créer la confiance, de renforcer les liens sociaux et de faire progresser les besoins de la communauté. Cela peut inclure la participation de groupes à des activités aussi diverses que les organisations de parents d’élèves, les églises ou les troupes de scouts.
Selon certaines mesures, le Canada s’en sort relativement bien dans ce domaine. Avant le début de la pandémie, un rapport de 2019 de la Banque mondiale a révélé que le Canada a fait bonne figure au chapitre du capital social par rapport à d’autres pays. Et les données de 2013 de Statistique Canada ont révélé que le capital social était demeuré relativement stable entre 2003 et 2013, 65 % des Canadiens ayant participé en tant que membres d’un groupe, d’une organisation ou d’une association, et près de la moitié ayant participé à des activités de groupe au moins une fois par mois.
Parallèlement, d’autres recherches ont montré que la solitude s’est accrue au Canada et que le taux de participation aux élections a également diminué depuis les années 1970, ce qui laisse entendre que les liens sociaux et l’engagement civique ne sont pas aussi forts qu’ils pourraient l’être.
En ce qui concerne la COVID-19, le capital social existant peut être un atout important pour les individus et les communautés. Des recherches ont montré qu’il est particulièrement bénéfique lors des catastrophes, car les réseaux sociaux deviennent plus importants lorsque nos vies sont mises à rude épreuve par des difficultés économiques, des maladies ou des perturbations généralisées.
Les récentes protestations peuvent indiquer un changement positif en ce qui concerne le capital social au Canada, puisque des milliers de personnes se sont rassemblées d’un océan à l’autre pour poursuivre l’objectif commun de combattre le racisme, la discrimination systémique et la violence policière. Malgré les risques associés au rassemblement de grands groupes pendant une pandémie, l’Organisation mondiale de la santé a apporté son soutien aux protestations. De nombreux responsables de la santé publique ont reconnu que les manifestations représentent une forme « essentielle » de rassemblement public. Elles sont directement liées au racisme structurel qui expose les groupes noirs, autochtones et racialisés à un risque accru pendant la pandémie, ce qui entraîne des taux nettement plus élevés d’infection et de décès liés à la COVID-19 dans ces communautés.
Ainsi, le capital social est à la fois tendu et plus ciblé en ce moment particulier, car les gens sont obligés de regarder les inégalités déjà présentes dans leur pays continuer à s’accroître. Frank Roberts, professeur à l’université de New York et expert des mouvements sociaux américains comme Black Lives Matter a déclaré à la BBC: « Vous avez une situation où tout le pays est en confinement et plus de gens sont à l’intérieur en train de regarder la télévision… plus de gens sont obligés de prêter attention – ils sont moins capables de détourner le regard,ils ont moins de distractions ». Dans un certain sens, c’est exactement ce dont il s’agit : détourner l’attention des individus pour la porter sur les systèmes sociaux et les besoins des groupes.
Une autre question posée dans le sondage ICC/Léger était de savoir si les Canadien·ne·s croyaient que la crise COVID-19 allait « rapprocher les diverses communautés du Canada ». Le sondage a révélé que les Canadiens étaient plus nombreux·ses à penser que la crise rassemblerait des communautés diverses (43 %) que ceux qui ne le pensaient pas (32 %), les autres se déclarant incertains. Les Canadiens de couleur étaient plus souvent d’accord avec cette affirmation que les Canadiens blancs, et les jeunes Canadiens étaient plus optimistes que les Canadiens plus âgés.
Les protestations répandues de St. John’s à Vancouver en faveur des mesures antiracistes peuvent être considérées comme une indication positive que le désir de se réunir pour poursuivre des objectifs communs reste fort chez les Canadiens. En attendant, grâce à des mesures de distanciation physique et à une forte adhésion aux règles de fermeture, les Canadiens ont réussi à aplatir la courbe des infections à la COVID-19 et le nombre de nouveaux cas dans le pays reste relativement faible.
Dans les mois – et peut-être les années – à venir, les communautés seront probablement confrontées à des défis encore plus importants, car les retombées économiques et les perturbations de notre vie quotidienne se poursuivent. Mais si les derniers mois sont une indication, nous avons de bonnes raisons d’espérer en ce qui concerne l’état du capital social au Canada.