À quoi ressembleront les lieux publics après la COVID-19?

Sejla Rizvic

30.09.2020

Alors que des millions de Canadiens étaient confinés à la maison pendant plusieurs semaines, nos espaces publics, eux, ont commencé subtilement à se métamorphoser. Afin de respecter les nouvelles règles de distanciation physique, presque tout dans nos façons de nous déplacer en ville, de travailler et de profiter de nos temps de loisirs a été modifié. Cela dit, cette période de restructuration pourrait aussi être l’occasion de pousser ces changements un peu plus loin encore et faire en sorte que la pandémie agisse comme catalyseur pour rendre nos lieux publics plus sains et plus inclusif de façon durable dans le futur.

L’un des premiers secteurs publics à avoir subi un important déclin d’utilisation est sans contredit le transport en commun, alors que des millions de Canadiens sont passé·e·s au télétravail, éliminant ainsi la nécessité de se déplacer au quotidien vers le boulot. Par exemple, l’achalandage de la TTC de Toronto a subi une baisse de 80 pour cent en avril, mais devrait connaître une nouvelle hausse de 50 pour cent de ses chiffres habituels d’ici octobre. Pour contrer les risques d’engorgement, les administrations municipales devront investir dans leurs réseaux de transport collectif, en ajoutant de nouveaux terminus et en modifiant la disposition de leurs sièges, entre autres mesures. Pour bonifier encore davantage ces changements, les villes pourraient décider d’offrir le transport gratuit pour tous les passagers – ce qu’une centaine de villes ont déjà fait dans le monde – afin de s’assurer que le transport soit accessible aux personnes à faible revenu et d’inciter la population à utiliser le transport collectif au lieu de la voiture, ce qui ralentirait les émissions de gaz à effet de serre et rendrait ainsi nos villes plus saines et sécuritaires.

Par ailleurs, si certains lieux ont subi un déclin d’achalandage, d’autres en revanche ont connu une importante hausse. Selon un sondage de Park People mené auprès de 1 600 Canadien·ne·s, 55 pour cent des répondant·e·s ont affirmé que leur fréquentation des parcs avait augmenté au cours de la pandémie de COVID-19 et 82 pour cent ont indiqué que les parcs étaient devenus un élément important pour leur santé mentale. Partout au Canada, des réseaux de pistes cyclables ont été étendus dans le but de réduire l’engorgement dans le transport en commun et la congestion sur les routes. L’augmentation de l’utilisation des espaces verts et le nombre croissant de cyclistes sur les routes témoignent tous deux d’un changement positif du mode de vie améliorant la santé physique et mentale des résident·e·s; si des politiques adéquates sont mises en place, ces changements pourraient perdurer.

Rédigée par l’urbaniste Jennifer Keesmaat, la Déclaration 2020 pour la résilience des villes canadiennes fait valoir que la COVID-19 et la période de reprise constituent une « occasion d’agir » et de mettre en place des changements qui pourraient « propulser les villes canadiennes à devenir plus accessibles, équitables et durables ». Le plan brosse un portrait holistique du fonctionnement que pourraient adopter les villes pour s’assurer que les plus vulnérables – qui d’ailleurs sont les personnes les plus durement touchées par la pandémie – soient bien servis grâce à une bonne planification urbaine.

Les personnes vivant avec un handicap, les personnes immunosupprimées ou âgées sont trop souvent oubliées en matière de planification urbaine avisée, ce qui signifie que d’innombrables Canadien·ne·s sont exclu·e·s de toute participation en société parce que l’on ne tient pas compte de leurs besoins. À la lumière du vieillissement de la population (d’ici 2036, les personnes âgées devraient compter pour 25 pour cent de la population canadienne), il est nécessaire de tenir compte des différents niveaux de capacité des personnes et d’envisager des moyens de mieux répondre aux besoins en matière de services, d’infrastructures et de politiques.

Les personnes vivant avec des incapacités plaident depuis longtemps en faveur de méthodes, qui ont récemment pris de l’ampleur durant la pandémie, notamment le télétravail et les horaires flexibles. Avant la COVID-19, les employeurs tardaient à faire de l’accessibilité une priorité, mais la pandémie a révélé à quel point ces changements étaient possibles.

Tout en militant pour de tels changements, nous devons tout autant rester vigilants quant aux interrelations entre les politiques et leurs répercussions. Jay Pitter, urbaniste et aménagiste, nous exhorte à ne pas oublier les personnes vivant dans des « densités oubliées », par exemple les refuges pour itinérants, les résidences de personnes âgées ou les établissements d’hébergement publics, car ce sont ces personnes qui connaissent le plus de difficultés pendant la pandémie en raison d’infrastructures inadéquates et non sécuritaires, qui les mettent en trop grande proximité avec les autres. Puisque l’on insiste toujours plus sur la distanciation physique et que la densité est considérée comme étant un risque accru de contamination, il importe de tenir compte de ces nombreux·euses Canadien·ne·s qui, dans bien des cas, ne peuvent même pas évoluer de façon sécuritaire dans leur milieu de vie ou leur communauté locale.

« Plutôt que de craindre les biais anti-densité », écrit Mme Pitter dans un article du magazine Azure, « nous devons appliquer ce que nous savons pour bâtir un bon cadre de densité urbaine. Ce cadre de travail devrait se fonder sur des données probantes et se superposer aux facteurs sociaux influant sur la santé, notamment la sécurité alimentaire, l’origine ethnique, le sexe et la pauvreté, tout en étant fermement ancré dans une vision d’aménagement d’espaces équitables ». Qui plus est, pour apporter ces changements, les décideurs devront consulter sérieusement non seulement les experts, mais aussi les membres de la communauté, ajoute Mme Pitter. « Entreprendre des travaux de cette envergure n’est pas possible en temps de pandémie. Cependant, nous pouvons assurément progresser en ce sens, plutôt que de minimiser les souffrances de celles et ceux dont la santé est menacée en raison de la densité », indique-t-elle dans son article.

Malgré les limitations auxquelles nous faisons face actuellement, toutes les raisons sont bonnes de demeurer optimistes. Des changements qui semblaient impossibles avant la pandémie sont actuellement en train de se produire; en appliquant nos connaissances et en prêtant une oreille véritablement attentive aux besoins des personnes les plus marginalisées, nous pourrions profiter de la dynamique créée jusqu’à maintenant pour transformer nos villes, nos espaces verts et nos milieux de travail pour qu’ils deviennent plus inclusifs pour toutes et tous.

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